Journée d'étude : L’art (décoratif) du livre fin-de-siècle : éloge du parergon.
Le 25/09/2018 à 13h18 par Anonyme
Résumé

Journée d’études organisée par Sophie Lesiewicz (BLJD) et Hélène Védrine (Sorbonne Université) le 7 février 2019.

 

« Mais l’illustration, c’est la décoration d’un livre ! »


Qui ne connaît l’exclamation célèbre de Maurice Denis, qui ajoutait : « Trouver cette décoration sans servitude du texte, sans exacte correspondance de sujet avec l’écriture ; mais plutôt une broderie d’arabesques sur les pages, un accompagnement de lignes expressives » (« Définition du néo-traditionnisme », août 1890) ? Cette affirmation a blasonné une nouvelle conception du livre illustré. Attirer l’attention sur le caractère purement plastique de l’illustration et des éléments qui la déterminent déplace notre regard du texte et de l’image vers la typographie (lettre et mise en page) et le décor. Maurice Denis résout brillamment l’opposition qui voudrait que la domination de l’illustration au xixe siècle ait dévoyé l’art de la décoration purement typographique du livre (voir Charles Saunier, Les Décorateurs du livre, 1922). Encore faut-il donner sa pleine mesure à la notion de « décor » et de « décoration », et examiner la diversité des exemples qui peuvent appuyer une telle assertion, que l’on trouvera encore sous la plume d’Édouard Pelletan, mais dans un sens qui vise à revenir à un livre décoré par des moyens purement typographiques : « Illustrer, […] c’est décorer une page » (Le Livre, 1996).


Cette réévaluation du caractère décoratif du livre demande à être envisagée selon des perspectives à la fois esthétiques et théoriques. La notion de parergon, que Jacques Derrida (La Vérité en peinture, 1978) emprunte à Kant qui désignait ainsi les ornements extérieurs qui encadrent une oeuvre d’art de manière accessoire et parfois préjudiciable, invite à apprécier le statut des éléments proprement décoratifs dans le livre : bandeaux, culs-de-lampe, fleurons, encadrements, lettrines, voire caractères typographiques, etc. Souvent invisibles et négligés, leur création a cependant occupé de nombreux artistes et typographes qui leur ont attribué un rôle majeur dans leur programme iconographique. Que l’illustration puisse se revendiquer elle-même comme parergon, par la voix d’un Maurice Denis rêvant d’« encadrements rythmiques, de lettres fastueuses », ou d’un Auguste Lepère parlant à propos de son À rebours (1905), d’« ornement de la feuille de papier », d’« orfèvrerie autour des pages » et de « feston », bouleverse tout aussi profondément le statut de l’image dans le livre. À la fois extérieure et fondamentale au texte, l’illustration devient ce « décor suggestif » qui rend compte, comme tenta de le faire Remy de Gourmont dans L’Ymagier et ses éditions illustrées au Mercure de France, d’un rapport idéal entre le mot et les choses. Le livre fin-de-siècle ne réalise pas cet idéal de manière uniforme, comme a pu le montrer par ailleurs Évanghélia Stead (La Chair du livre, 2012). Le livre Art & Craft, comme celui de William Morris, se tourne vers l’imitation des incunables, de leurs caractères typographiques et encadrements décoratifs. Il vise à créer une harmonie par laquelle « les illustrations ne devraient pas avoir une relation plus ou moins aléatoire avec la décoration et la typographie, mais une relation essentielle et artistique. » Le livre Art Nouveau, qu’Antoine Coron désignait comme un « livre de décorateurs », met lui aussi l’accent sur les encadrements et ornements floraux ou organiques, et se caractérise par une grande innovation typographique (que l’on pense à Auriol ou à Grasset). Il bénéficie des nouvelles techniques de reproduction photomécaniques qui permettent de placer le texte en surimposition d’une illustration et de la décoration des marges, inventant de nouvelles normes de mise en page où s’impose largement la couleur. Cette esthétique décorative, qui joue sur les découpes de l’image et du texte comme l’a montré Philippe Kaenel à propos de l’Histoire des quatre fils Aymon et des éditions d’Uzanne (Le Métier d’illustrateur, 2005), annule la distinction entre l’illustration, qui relève du régime iconographique, et l’ornementation typographique, qui relève de la sphère du bloc typographique et de la zone de lisibilité de la page. Ce régime décoratif, loin d’être secondaire et extérieur, permet dès lors d’instaurer de nouvelles conceptions de la page, du livre, et des rapports entre le texte et l’image. Il est peut-être aussi l’étape qui permet de passer aux expérimentations des avant-gardes, dans le livre et la typographie. C’est à cet éloge du parergon et du décor du livre qu’invite la journée d’études qui sera organisée le 7 février 2018 par la Faculté des Lettres de Sorbonne Université et par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.


Il s’agira d’examiner les différentes manières dont un art décoratif du livre a pu être promu au tournant du xixe et du xxe siècle, à travers des études portant sur l’ornementation, la typographie et l’illustration comme décoration. Cette journée vise aussi à mettre en valeur la collection de livres fin-de-siècle de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Connu pour ses fonds de littérature des avant-gardes puis contemporaine, l’établissement conserve aussi un impor- tant ensemble d’ouvrages symbolistes et post-symbolistes qui se trouvent même former ses fondations puisqu’ils constituent les premiers éléments de l’originelle Collection Jacques Doucet, diligentée par André Suarès à partir de 1914. Cent ans plus tard, cette collection de livres fin-de-siècle prend une nouvelle actualité de par un second accroissement en 2014, grâce au legs Jean Bélias. Revivifiée, elle attend donc ses chercheurs qui trouveront, pour éclairer la genèse des ouvrages, manuscrits, maquettes ou correspondances, la BLJD se caractérisant par le caractère mixte de ses collections, dans une entreprise de contextualisation chère à Jacques Doucet. Les chercheurs qui souhaitent participer à cette journée sont invités à bénéficier d’un accès privilégié à ce catalogue, qui offre une vision unique sur le livre fin-de-siècle, par la diversité des éditeurs (Eragny Press, Floury, Piazza, Pellet, Kieffer et Blaizot, Ferroud, Éditions du Mercure de France, Pelletan, Uzanne, Quantin, Beltrand, Conquet, Vollard, Deman, Les Amis du livre, Le livre contemporain, Société du livre d’art, Les Cent bibliophiles…), des artistes (Maurice Denis, Jacques Beltrand, Eugène Grasset, Mucha, Auguste Lepère, Odilon Redon, Rochegrosse, Louis Legrand, Jean de Boschère…) et des écrivains (Huysmans, Gourmont, Jarry, Schwob, Elskampf, Verhearen, Marterlinck, Mallarmé, Rodenbach…).

 

 

 

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