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  • Desnos, Mots et merveilles

Robert Desnos, 

Mots et merveilles

Robert Desnos, Mots et merveilles

Depuis plusieurs années, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et le Département des Lettres modernes de l’Université Paris Nanterre s’associent afin de faire découvrir aux étudiants de master 1 recherche du séminaire Poésie, arts visuels, patrimoine 20e siècle les collections de la Bibliothèque sous forme d’ateliers.

En 2019-2020, la collaboration s’est approfondie sous la forme de l’exposition virtuelle Robert Desnos, Mots et merveilles, conçue et réalisée durant un semestre par un petit groupe d’étudiants, avec l’aide de leur professeur, Laurence Campa, et de la directrice de la BLJD, Isabelle Diu.

 

Pourquoi Desnos ?

 

Parfaitement adéquat au segment chronologique et à la problématique du séminaire, le fonds Desnos de la BLJD est d’une richesse exceptionnelle : documents personnels, manuscrits, correspondances, dessins, photographies offrent aux étudiants l’opportunité de travailler sur les archives littéraires et au grand public de les découvrir par le biais des ressources en ligne (http://bljd.sorbonne.fr/search/home) et de la présente exposition.

 

Poète polymorphe, résolument libre, engagé dans l’art comme dans la vie, Robert Desnos incarne la créativité inouïe du langage et la circulation féconde entre les arts. C’est pourquoi l’exposition choisit de présenter trois dimensions-carrefours de son travail et de son existence : l’amour et l’érotisme ; la relation aux arts plastiques ; le travail pour le cinéma et la radio.

Par ce prisme, tout un monde s’anime, celui du poète entré en littérature par le surréalisme, qui a gagné son indépendance en s’affranchissant des mots d’ordre et en s’ouvrant à diverses formes d’art et d’expression ; celui d’un homme qui n’a pas hésité en résister pendant l’Occupation et a payé de sa vie ses convictions et son affrontement à l’Histoire.

Défense et illustration de la poésie vivante, la vie et l’œuvre de Robert Desnos offrent à toutes les générations un admirable exemple d’inventivité, de liberté et de cohérence.

 

 

Le fonds Robert Desnos à la BLJD

 

La constitution du fonds Robert Desnos à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet débute dès 1922, avec l’achat du manuscrit de Nouvelles Hébrides, texte d’écriture automatique, comparable aux Champs magnétiques de Breton et Soupault. Puis en 1923, Doucet passe commande à Desnos d’une enquête littéraire sur l’érotisme qui aboutira à un essai intitulé De l’érotisme considéré dans ses manifestations écrites et du point de vue de l’esprit moderne. En 1927, Desnos rédige une histoire des mouvements dada et surréaliste et rassemble une documentation d’ephemera sans équivalent sur ces mouvements littéraires.

En 1929, à la mort du mécène, le fonds Desnos comporte donc déjà bon nombre de manuscrits et de correspondances de l’écrivain ainsi que des ouvrages dans leurs éditions originales. En 1967 ce fonds initial est amplement complété grâce au legs de Youki Desnos, sa compagne : elle y adjoint de nouveaux manuscrits, de magnifiques cahiers enluminés tel le Livre secret pour Youki, des dactylogrammes, des articles écrits pour les journaux auxquels collabore Desnos, une importante correspondance, des carnets et papiers personnels, des photographies ou des textes qui témoignent de l’activité de journaliste de Desnos dans les années 1930 (notamment à la radio) et enfin des archives qui attestent de son engagement pendant la guerre : membre du réseau Agir à partir de 1942, arrêté et déporté, il mourra dans le camp de Terezin après une épuisante marche de la mort.

Ce fonds reflète les différentes facettes d’une œuvre et d’une vie marquées tout autant par l’amour et la poésie que par l’engagement. Le fonds est magnifiquement complété par des œuvres graphiques de la main de Robert Desnos, aquarelles, gouaches et dessins aux crayons et à l’encre, ainsi que des objets - comme l’emblématique Etoile de mer. La correspondance personnelle, notamment les lettres à Youki, les pièces d’archives relatives à son engagement de résistant et à sa déportation ouvrent un autre horizon encore à ce fonds singulièrement riche.

 

Le fonds Robert Desnos à la BLJD


La constitution du fonds Robert Desnos au sein de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet débute très tôt. Dès 1922, André Breton, alors employé comme bibliothécaire par Doucet, suggère l’achat du manuscrit de Nouvelles Hébrides de Desnos, ensemble de textes d’écriture automatique, comparables aux Champs magnétiques nés de la collaboration de Breton et Soupault. Puis la contribution du poète à la collection que constitue le couturier et mécène prend une autre forme : en 1923, Doucet passe commande à Desnos d’une enquête littéraire sur un domaine mal documenté, l’érotisme. Le poète propose un essai intitulé De l’érotisme considéré dans ses manifestations écrites et du point de vue de l’esprit moderne, qui se révèle bien autre chose qu’une enquête historique sur les textes érotiques : Desnos y fait s’entrelacer des thèmes qui lui sont propres. Force de la poésie, force de l’imaginaire et force du désir inspirent directement, dit-il, « la conception moderne de l’amour »[1]. En 1927, rétribué par Doucet, Desnos entreprend la rédaction d’une histoire des mouvements dada et surréaliste[2] et rassemble une documentation d’ephemera sans équivalent sur ces mouvements littéraires.

En 1929, à la mort du mécène, le fonds Desnos comporte donc déjà bon nombre de manuscrits et de correspondances de l’écrivain ainsi que des ouvrages dans leurs éditions originales comme celle de Deuil pour deuil, éd. du Sagittaire, 1924[3], C’est les bottes de sept lieues cette phrase « je me vois », illustré d’eaux fortes par André Masson, publié en 1926 aux éditions de la Galerie Simon[4] et  La Liberté ou l’amour ! aux éditions du Sagittaire, en 1927[5]. En 1967 ce fonds initial est amplement complété grâce au legs de Youki Desnos, sa compagne : elle y adjoint de nouveaux manuscrits, de magnifiques cahiers enluminés tel le Livre secret pour Youki, des dactylogrammes, des articles écrits pour les journaux auxquels collabore Desnos, une importante correspondance adressée, des carnets et papiers personnels, des photographies ou des textes qui témoignent de l’activité de journaliste de Desnos dans les années 1930 (notamment à la radio) et enfin des archives qui attestent de son engagement pendant la guerre : membre du réseau Agir à partir de 1942, arrêté et déporté, il mourra dans le camp de Terezin après une épuisante marche de la mort.

Ce fonds reflète les différentes facettes d’une œuvre et d’une vie marquées tout autant par l’amour et la poésie que par l’engagement. L’œuvre littéraire, poétique ou en prose y est représentée par la plupart des manuscrits, complétés de dactylographies corrigées de la main de l’auteur. L’activité surréaliste est présente à travers les récits de rêves et les dessins réalisés sous sommeil hypnotique, les rébus mais aussi les textes écrits pour Littérature ou La Révolution surréaliste. Son œuvre de journaliste et de critique littéraire ou artistique est également bien documentée par des manuscrits ou des articles dactylographiés. Le fonds est magnifiquement complété par des œuvres graphiques de la main de Robert Desnos, aquarelles, gouaches et dessins aux crayons et à l’encre, ainsi que des objets - comme l’emblématique Etoile de mer. La correspondance personnelle, notamment les lettres à Youki, les pièces d’archives relatives à son engagement de résistant et à sa déportation ouvrent un autre horizon encore à ce fonds singulièrement riche.


[1] Ces deux textes – Nouvelles Hébrides et De l’érotisme – ont été publiés conjointement chez Gallimard en 1978. La citation est extraite d’une lettre à Jacques Doucet conservée sous la cote A III 18, 7124 (2).

[2] A III 14, 3352, 3354-3360 (7 petits cahiers comportant des plans et des portraits des protagonistes du mouvement) et Alpha 3361-3363 (livraisons régulières sous forme de feuillets). Cette enquête a été publiée dans Nouvelles Hébrides suivi de Dada-Surréalisme 1927, chez Gallimard (collection l’Imaginaire), en 2016.

[3] M IV 11 avec cette dédicace : « A Monsieur Jacques Doucet ce livre d’un autre monde ».

[4] C III 2 (3).

[5] T IV 55.

 

Robert Desnos, photo d'identité

DSN 564

Comment ai-je rencontré Robert, Robert le Diable, Robert Tête-en-l’Air, Robert Pieds-sur-le-sol, Robert le fou, Robert de Normandie, Robert-Robert ? Je ne saurais le dire… [..] Je revois sa mèche, sa silhouette, et ses yeux glauques qui tenaient sur son visage une place importante, j’entends encore l’éclat de sa voix

 

Henri Jeanson dans la revue Simoun, n° 22-23, Alger, 1956, p. 33. 

Robert Desnos, photo d'identité

DSN 553

Il y avait plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos

 

Témoignages de l’écrivain cubain Alejo Carpentier en 1979. 

Robert Desnos, photo d'identité

DSN 565

En lui, rien n'est banal 

 

Kiki de Montparnasse, Souvenirs retrouvés, José Corti, 2005, p. 215. 

Robert Desnos, Lettre-rébus, encre et plume, 

DSN Enr Ms 3

Robert Desnos, Jeux de mots et dessins surréalistes, Manuscrit autographe, s.d.

DSN 889 (1-4)

I. La vie : le sommeil et l'amour, le rêve

Robert Desnos, un homme et un poète avant tout. Un homme comme les autres, avec tout ce qu’il y a de plus humain. Un poète dont le destin est accompli dans l’écriture poétique, lyrique et parfois pathétique de sa vie. Cette dernière, quoi que trop courte, se révèle, à chaque étape (enfance, jeunesse, amitiés, aventures ou passions amoureuses), source d’inspiration. 

Photographie de Robert Desnos, 1922.

DSN 585

Photographie de Robert Desnos, s.d.

TZR 746

1. Jardin d’enfance


Je construisais une villa imaginaire et combien réelle puisque j’en possédais la clef et qu’il me suffisait de faire le geste de tourner son simulacre dans une invisible serrure pour que mes camarades n’y puissent pas entrer. Tric trac ! C’est fermé ! 


« Un soir, au café chinois de la Havane », Le Soir, 15 avril 1928, cité par Anne Egger, Robert Desnos, Fayard, 2007, p. 18. 



Né le mercredi 4 juillet 1900 à Paris, à une période marquée par l’essor de la mécanique avec l’inauguration de la première ligne métropolitaine et de la gare d’Orsay, Robert-Pierre Desnos, bien que vivant dans une famille conventionnelle de commerçants, est un enfant de la modernité. Très tôt, le petit Robert développe une sensibilité et une capacité d’observation aiguës. Paris, ville des lumières, est le centre de ses attentions. La capitale, les charmantes filles et les beaux-arts l’émerveilleront toujours. Son enfance, bercée par l’univers enchanteur de Jules Verne, est aussi habitée par les livres d’aventures de Gustave Aimard. Mentionnons également les magazines populaires avec leurs collections, « Bibliothèque merveilleuse », « Le Journal de voyage », qui, sans aucun doute, participent à la construction du jeune poète. Pénétré de ces univers, c’est tout naturellement que le petit Robert acquiert une fabuleuse imagination. Cette faculté, socle de toutes ses œuvres, sera plus tard exacerbée au sein du groupe surréaliste.

Avec André Breton, Louis Aragon, Salvador Dali ou encore René Magritte, l’univers littéraire est associé à la peinture, au dessin, au cinéma et à la musique. Ce mariage participe à la primauté de l’imagination sur la raison. Il incite à l’utilisation des forces psychiques, des automatismes, de l’inconscient et du rêve. Ce sont les clés de la pensée surréaliste. Avec les sommeils hypnotiques en particulier, Desnos explore les confins de l’imagination et, devenant ainsi maitre et possesseur de cette faculté, il l’exploite à son gré.   

Malkine, illustration pour Desnos, The Night of loveless nights, Anvers, s.n., 1930.

C III 2 (3) / LRS 539 (1)

2. Yvonne George

Photographie d'Yvonne George


L’amoureux snobé ou le chevalier servant


Dans cette modernité, période de rupture avec le monde ancien, le jeune poète, dont le prénom, Robert Pierre, évoque l’illustre révolutionnaire de 1789 Robespierre, affiche son amour de la transgression et du risque. Passionné de cinéma, art populaire très critiqué à son époque, Desnos tombe éperdument amoureux d’Yvonne George. Une femme dont la réputation morale, à cause de son métier de chanteuse et surtout de son addiction aux stupéfiants, est sujette à caution. Desnos brave ainsi les interdits familiaux et fait table rase des conventions sociales. Convaincu que la véritable preuve d’amour n’admet nulle logique, c’est sans hésitation qu’il se met au service de celle qu’il appelle l’Étoile de mer, allant même jusqu’à l’aider à se procurer de la drogue.

Si les désirs de la chanteuse sont des ordres, l’amour du poète n’est pas réciproque. Afin de conquérir son étoile, Desnos se voit obligé de plonger dans les tréfonds de l’océan. Mais sa quête est sans issue ; et son amour pour la chanteuse, qui mourra en 1930, aura été plein d’affliction.

Dans les œuvres qu’il lui dédie, se lisent sa douleur et son incapacité à faire comprendre son amour. Incapable de saisir véritablement la femme qu’il aime, il se contente grâce à sa puissante imagination de la posséder dans ses rêves. 

 

 J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

[...] 

 J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton ombre qu’il ne me reste plus peut être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie. 

[...] 

 Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés.

[...] 

 Loin de moi parce que tu es cruelle.  

« À la mystérieuse », Corps et biens, 1930.

Desnos, Yvonne George ou la main de la gloire, manuscrit, s.d.

DSN 261

3. Youki

Photographie de Youki Desnos, s.d.

DSN 646

Desnos : Le bonheur d’aimer et d’être aimé



Après la pluie, le beau temps. Après l’orage Yvonne George, Desnos parvient à redessiner un horizon idyllique avec la belle Lucie Badoud, alias Youki. Fou amoureux de Youki, de sa Youki, que la lettre Y et la beauté rendent analogue à une sirène, il se dévoue entièrement à elle.

Youki, d’abord compagne du peintre Foujita, fait la connaissance de Desnos grâce au groupe surréaliste. Très vite, Robert devient un ami intime du couple. Contraint par ses difficultés financières, il finit par emménager chez eux. Attaché à la femme du peintre, qui se retrouvera seule en 1931, avec un train de vie dispendieux, Desnos scelle définitivement son amour avec la « neige rose », accumulant même les travaux alimentaires afin de la rendre heureuse. La sirène en retour ne ménagera pas les preuves d’amours ; et pour vivre cette idylle, elle s’installe avec lui. Muse, Youki attise l’imagination du poète et lui inspire de magnifiques recueils comme Le Livre secret pour YoukiYouki Poésie etc.



Dans ces œuvres, le poète chante la beauté de sa compagne, de leur amour et enfin de son bonheur.  

 

Ex-libris de Youki sur un recueil de poèmes manuscrits de Desnos, s.d.

TZR 749

4. Desnos : De l'amour du corps, Du cœur au corps

L’amour, besoin de l’âme, n’est pas indissociable du corps. Bercé par le Paris des lorettes, doté d’une imagination extraordinaire et épris de littérature, Desnos goûte aux œuvres infernales. De Sade à Apollinaire en passant par Colette, il explore l’amour et la passion sous toutes ses formes, y compris les plus extrêmes. De toutes façons, son amour de la transgression et surtout son ancrage dans le groupe surréaliste l’y destinent. En effet, les surréalistes voient dans la manifestation des pulsions ou instincts sexuels une réelle mise en valeur de l’humain, cet animal que, selon eux, la raison entrave et limite. Explorer alors les désirs charnels les plus éloignés de la logique ou du rationnel, c’est rendre hommage à la véritable nature humaine et surtout lui permettre de donner libre cours à son potentiel artistique. Par l’intermédiaire d’André Breton, Desnos rencontre le couturier Jacques Doucet et entreprend à sa demande une étude historique de l’érotisme littéraire jusqu’au XXe siècle. Le masochisme, la scatologie, la pornographie ou encore le libertinage, voilà des termes et des pratiques auxquels Desnos consacre des essais. 

Dans Corps et biens (1930), une œuvre dans laquelle s’illustre sa capacité à jouer avec les mots, le poète fait l’éloge du corps, de la sensualité et multiplie les métaphores érotiques. 



 La solution d’un sage est- elle la pollution d’un page ? 

 Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne, petite fille, dans cet internat où votre œil se cerna ? 

 Habitants de Sodome, au feu du ciel préférez le fiel de la queue. 

 


Avec Corsaire Sanglot et Louise Lame, le roman La Liberté ou l’amour (1927) mêle amour et macabre, associant, dans le chapitre       « Tout ce qu’on voit est d’or », les ébats sexuels des deux personnages à l’univers sanglant et criminel de Jack l’éventreur. 

II. Chefs d'œuvres du rêve

Robert Desnos, Aquarelle portant l’inscription « Écrit et réalisé pour Daniel Milhaud en 1939 »

MO 117


Robert Desnos est un artiste de tous les savoir-faire. Sa place dans l’art surréaliste ne se définit pas seulement à travers son accomplissement poétique. Critique littéraire, dessinateur, écrivain, expérimentateur, Desnos possède les différentes facettes d’un homme aux multiples talents. Les dimensions visuelles et graphiques occupent une part très importante de son œuvre. Son goût pour les arts plastiques est cependant moins connu que sa poésie. Peu nombreux sont ceux qui savent que l’enfance de Robert Desnos a été bercée par des livres pour la jeunesse, ce qui pourrait expliquer l’intérêt qu’il manifeste envers le dessin et les livres illustrés. À l’origine, ses idées esthétiques prennent forme dans les années 1920 avec le surréalisme puis, petit à petit, son intérêt évolue. Ses textes les plus connus sur la question des arts visuels sont rassemblés sous le titre Écrits sur les peintres (Flammarion, « Champs Art », 2011)

1. Le rendez-vous des artistes

L’intérêt prononcé de Desnos pour le dessin et les arts plastiques se traduit par ses relations au sein du groupe surréaliste. Man Ray, ébloui par le poème L’Étoile de mer, en donne en 1928 une réécriture cinématographique qui fera date dans l’histoire du cinéma.

 

Max Morise collabore avec Desnos. Il est aussi son ami. Il sera même inscrit dans la liste des exécuteurs testamentaires en novembre 1932 lorsque Desnos rédigera un testament en faveur de Youki.

 

Le peintre Georges Malkine rencontre Robert Desnos en 1922. Tous deux construisent une amitié qui se poursuivra même après le départ de Malkine à Nice sous forme de relation épistolaire. Lié avec le groupe surréaliste, Malkine publie un texte automatique dans le premier numéro de la revue La Révolution surréaliste du 1er décembre 1924.

 

Max Ernst est l’un des peintres-plasticiens que côtoie le poète. L’artiste collabore avec certains membres du groupe des surréalistes tels André Breton, Paul Eluard et Louis Aragon. Il participe à la publication de la revue La Chamade, et réalise avec Eluard certains des livres majeurs de l’aventure surréaliste, Les Malheurs des immortels en 1922 ou Au défaut du silence en 1925. Desnos écrit un article sur La Femme 100 têtes de Ernst, publié dans le premier numéro de la revue Documents, en 1930.

 

Desnos collabore aussi avec des artistes qui ne s’inscrivent pas directement dans le mouvement surréaliste. Ainsi, Gaston-Louis Roux, spécialiste de l’illustration d’ouvrages et peintre en titre de de la mission ethnographique Dakar-Djibouti (1931-1933), à laquelle participe Michel Leiris (L’Afrique fantôme, 1934). C’est lui qui rélaise les images du recueil de Desnos État de veille (1943).

 

 

Desnos a côtoyé de nombreux artistes. Néanmoins, il n’a pas collaboré avec chacun d’entre eux. Tel est le cas de Foujita. Desnos et lui sont liés par leur amour des arts mais aussi par leur amour envers celle que le peintre d’origine japonaise surnomme Youki, et qui est alors sa compagne. Foujita confie au poète la sécurité de la jeune femme lorsqu’il quitte la France, fin octobre 1931.

 

Dans le Journal de Desnos, publié dans la revue Confluences en 1945, nous apprenons que Desnos et Picasso se fréquentaient au restaurant Catalan. En 1944, Desnos écrit : « Picasso me dit :  "Ce buffet … qu’y a-t-il dedans ? Il me semble qu’on pourrait le savoir." Ce buffet, j’ai dit ailleurs comment Picasso en fit deux tableaux, et comment le lendemain même il disparut. À croire que le peintre, en le recréant, avait rendu son existence inutile, ou que, plus vrai sur la toile, le meuble avait été relégué au magasin des accessoires pour fantômes. » (cité par Marie-Dumas dans Desnos, Œuvres, Gallimard, « Quarto », 1999, p. 1177).

 

2. Quand l'extase mène au chef d'œuvre

Max Morise, Portrait de Robert Desnos, 23 Juin 1923, aquarelle

DSN 539

C’est en septembre 1922 que le groupe de la revue Littérature expérimente les sommeils hypnotiques pour explorer, au-delà du rêve, les possibilités créatrices de l’inconscient. Desnos est l’un des principaux acteurs des séances d’auto-hypnose, où il excelleFinalement, cette activité fiévreuse mènera à des désaccords au sein du groupe, dont certains membres dérivent dangereusement aux confins de la folie. En février 1923, André Breton y met brutalement fin. Desnos, lui, continuera à se livrer seul à ces pratiques extrêmes.

« - Qu’est-ce-que Picabia aime le mieux ? - Rien ».



Voici à quoi peuvent mener les expériences de sommeil hypnotique. Imaginons ici Desnos dans un fauteuil, entouré de ses amis, dont Picabia. Le peintre avait fait un dessin pour Nouvelles Hébridestexte écrit en 1922 selon le protocole de l’écriture automatique inaugurée par les  Champs magnétiques de Breton et Soupault (1920).  Desnos remerciera discrètement Picabia dans une lettre du 20 juillet 1922 :  « Grâce à vous j’aurai un motif d’aimer mon livre quand il apparaîtra. Ma première intention avait été de vous le dédier, je ne le fais pas, par timidité, mais je vous prie de le considérer comme tel » (fonds Picabia 7164). L’ouvrage sera publié à titre posthume, en 1978, mais son manuscrit est entré très tôt dans la collection de Jacques Doucet.

 

Robert Desnos, Qu’est-ce-que Picabia aime le mieux Rien, dessin hypnotique, 1922

Ms Ms 50675

Robert Desnos, Mort de Max Morise, dessin hypnotique, 1922

Ms Ms 50676


Cette dédicace à son camarade Max Morise sera plus tard revisitée à l’huile et en couleurs pour la mort de ce dernier.

 

 



  Dispersez dispersez les cerf-volants bâtards

Qui a pu illustrer de grands [illisible] défunts

Les réveil-matin morts n’ont pas sonné trop tard

Par où (?) les bougies bleues dans tes yeux sont éteints     


 


Morise connaît parfaitement les expériences auxquelles s’adonne Desnos. Le poète a pour habitude de figurer dans presque tous ses dessins certains détails marquants et récurrents comme des étoiles. Ici, l’imaginaire de Robert Desnos se focalise sur le regard et la vision avec les motifs d’yeux et de lunettes. Max Morise en joue et se réfère aussi aux expériences d’hypnose en faisant le portrait d’un Desnos aux yeux blancs et rêveurs.

Robert Desnos, Dieu c’est la métamor faux, dessin hypnotique, 1922

Ms Ms 50677

3. Entre images et poèmes

Robert Desnos, La Ménagerie de Trsitan, dessin à la gouache, 1932.

Ms 42275

Avec George Malkine

Georges Malkine, Portrait de Robert Desnos, 1926, huile sur toile

MO 120

The Night of Loveless Nights

Robert Desnos, The Night of Loveless Nights, manuscrit autographe, vers 1900-1945

DSN 9

Robert Desnos, The Night of Loveless Nights, manuscrit autographe, vers 1900-1945

TZR 735

Toujours poussé par l’intérêt que lui porte Desnos, Malkine travaille sur les dessins qu’il proposera pour The Night of Loveless Nights. L’œuvre connait de nombreuses versions. La première est achevée en août 1927. L’ouvrage est finalement publié en mars 1930 avec trois dessins de Malkine.

Robert Desnos, The Night of loveless nights, gravure de Georges Malkine, vers 1930, Anvers, s.n.

C III 2 (3) / LRS 539

Bateau du dessin hypnotique

Robert Desnos, L’astrologie Dévoilée, dessin hypnotique

Ms Ms 50676

Nombreux sont les échos entre les compositions plastiques de Malkine et les dessins hypnotiques de Desnos. Ainsi, le bateau au large, prêt pour un long voyage sous une nuit étoilée. 

avec André Masson
C'est les bottes de sept lieues Cette phrase :"Je me vois" 



C’est les bottes de sept lieus cette phrase « Je me vois » est publié en mai 1926 aux éditions de la Galerie Simon. Ami et collaborateur de Desnos, André Masson donne à voir de remarquables eaux-fortes. André Masson réalisera aussi deux eaux-fortes pour Les Sans Cou dans une édition hors commerce en mai 1934.



« Les profondeurs de l’amour! Et si jamais le soleil se couche car il ne s’est jamais couché, aurore boréale, il se prolongera sur l’univers d’André Masson. » (Double prière d’insérer pour l’ouvrage).



En avril 1926, Robert Desnos reprend l’atelier de Masson au 45 rue Blomet, à Montparnasse, que fréquente assidûment George Malkine. 

 

Robert Desnos, C’est les bottes de 7 lieues Cette phrase « Je me vois », eau-forte d’André Masson, Galerie Simon, 1926

C III 2 (3) / LRS ill 187 / LC 322 Fol

Avec Gaston-Louis Roux
État de veille

Gaston-Louis Roux, frontispice d’État de veille de Robert Desnos, R.-J. Godet, 1943

LRS 538 / LC 323 Fol

Page de titre et brouillon d’État de veille

État de veille est publié en avril 1943 chez Robert J. Godet avec dix gravures au burin de Gaston-Louis Roux.


Dans sa note sur le recueil, Desnos écrit : « Les premiers poèmes de ce recueil datent de 1936. Durant toute cette année et jusqu’au printemps 1937, je m’étais contraint à écrire un poème chaque soir, avant de m’endormir. Avec ou sans sujet, fatigué ou non, j’observai fidèlement cette discipline. […] Le résultat d’une telle entreprise fut une " purge " intellectuelle complète qui m’aurait fait sans doute renoncer définitivement à la poésie si je n’avais eu à l’époque la chance d’être un des plus féconds rédacteurs de slogans et indicatifs publicitaires radiophoniques. » 

 

Robert Desnos, État de veille, fragment autographe avec correction, vers 1942-1943

DSN 20

Robert Desnos, État de veille, fragment autographe, vers 1942-1943

DSN 17

Avec Labisse
Le Bain avec Andromède

Félix Labisse, Portrait de Robert Desnos, s.d, huile sur toile

MO 121


Un jour que nous assistions à la générale de La Reine morte de Montherlant, au Théâtre-Français, un spectateur ne pouvant contenir son admiration s’exclama : “ Comme c’est profond! “ Il rétorqua d’une voix basse : “ Oui c’est profond !... Profond   comme la lune ! “ C’est à cette époque que je fis son portrait.  


Labisse, Souvenirs, in Desnos, Écrits sur les peintres, Flammarion, 1984.

C’est avec son essai critique sur Labisse aux Éditions Séquana, collection « Les Peintres d’imagination », que nous découvrons Desnos comme critique d’art, activité qu’il pratique ponctuellement depuis longtemps. Cet essai est la dernière œuvre qu’il publiera de son vivant. 

 

Dans ce texte critique, Desnos écrit de Labisse : « Sa technique, sûre d’elle-même, le satisfait dans la mesure où elle est obéissante à ses desseins. Il faut, jusqu’à ces temps derniers, chercher dans ses toiles avec attention pour y découvrir une joie de peindre, une sensualité que dissimule ou qu’avertit la passion. Elles y sont pourtant. Labisse est donc un peintre d’images. »

 

Le Bain avec Andromède est publié aux éditions de Flore. Après la déportation de Desnos, le 30 Avril 1944, une nouvelle du Bain avec Andromède est publiée, augmentée de six sonnets en argot (À la caille, Messages, n° 11, novembre 1944). 

 

Robert Desnos, Le bain avec Andromède,  illustrations en couleur de Félix Labisse, vers 1944 

FG 58 fol

Dessin hypnotique avec les visages

Dans le poème Meurtre, Desnos écrit : 



 Un cadavre gît pourtant en ce lieu,

Il gît, il pourrit, il se désagrège,

Il est invisible et crève les yeux,

Il est invisible et pris à son piège. 



À travers son illustration, Labisse a su transmettre le même type d’émotions. L’érotisme s’y manifeste toujours de manière insolite par des personnages sans visage aux corps mutilés. La portée allégorique et symbolique de son travail peut être mise en regard du dessin hypnotique de Desnos qui joue, quant à lui, de visages sinueux. Les deux artistes se complètent et se répondent.

 

Robert Desnos, Dessin hypnotique de visages, encre sur papier, 1922

Ms Ms 50675 bis

III. "De la merveille à voir et à écouter"

Robert Desnos, The Night of loveless nights, illustrations de Georges Malkine, Anvers, 1930

C III 2 (2) / LRS 539

La fascination de Robert Desnos pour le rêve et l’érotisme se manifeste à travers deux moyens d’expression privilégiés : le cinéma et la radio.

 

En effet, les conditions mêmes de la représentation cinématographique, la lumière et l’obscurité, sont particulièrement propices à l’état onirique, entre le conscient et l’inconscient, le réel et l’irréel. Pour Desnos, le cinéma ne peut se passer d’érotisme : c’est ce qui fonde justement son attrait, ce qui permet de donner accès à la puissance de l’imagination. Le poète condamne, dans de nombreux articles, le puritanisme du cinéma français et la censure qu’il impose. Comme le rêve, le film est une aventure. Il permet d’échapper à une réalité prosaïque et parfois sordide, pour atteindre le merveilleux. Le talent de Desnos pour le cinéma s’exprime à la fois dans des textes sur le cinéma et pour le cinéma. Le poète publie ainsi des scénarios, non réalisés, et inspire à Man Ray son chef d’œuvre L’Étoile de mer, tourné en 1928.

 

Dès 1933, le poète se lance avec passion dans des productions radiophoniques et adapte son expression poétique à ce nouveau support. Il écrit de nombreux textes brefs, comme des sketches ou des éphémérides, mais exerce aussi son talent dans la publicité. Parmi plusieurs drames et émissions radiophoniques, une émission obtient un très large succès et permet au poète de poursuivre l’exploration de l’univers onirique : La Clé des songes.

Le Septième art ou la projection du rêve à l'écran


 Ce que nous demandons au cinéma, c’est l’impossible, c’est l’inattendu, le rêve, la surprise, le lyrisme qui effacent les bassesses dans les âmes et les précipitent enthousiastes aux barricades et dans les aventures ; ce que nous demandons au cinéma c’est ce que l’amour et la vie nous refusent, c’est le mystère, c’est le miracle. 



« Mystère du cinéma », [1927] repris dans Les Rayons et les ombres Cinéma, Gallimard, 1992. 


L’engouement de Robert Desnos pour le cinéma, ce nouveau moyen d’expression populaire, est visible à la fois dans ses textes sur le cinéma et dans ses scénarios (comme l’a montré Carole Aurouet dans Robert Desnos et le cinéma, nouvelles éditions Place, 2016).

Pour le poète, le septième art, c’est la promesse d’un renouveau de l’imaginaire. L’obscurité de la salle de projection rappelle les ténèbres nocturnes propices à l’expression onirique. Le cinéma met en scène des figures similaires à celles qui peuvent hanter les nuits du rêveur. Ainsi, les spectateurs de cinéma « frottent leurs yeux lourds en sortant à l’air troublant de la nuit comme un dormeur dont le rêve a pris fin » (« Les Rêves de la nuit transportés sur l’écran » [1927] texte publié dans Les Rayons et les ombres Cinéma, Gallimard, 1992)



Le cinéma, créateur de fantasme

Carte de presse de Robert Desnos, 1925

DSN 553

Pigiste, chroniqueur, reporter dans différents journaux, Desnos a deux domaines de prédilection : la musique et le cinéma.



Entre 1923 et 1930, le poète fait paraître pas moins de 80 critiques de cinéma dans les périodiques DocumentsJournal littéraireLe MerleLe Soir ou Paris-Journal. Les articles de Robert Desnos ne consistent pas uniquement en critiques de films ou billets d’humeur sur le cinéma. S’y expriment des engagements sur des sujets sociaux plus larges. Le poète dénonce par exemple les conditions de travail des figurants. Les articles de Desnos, sans complaisance, prennent un ton volontairement polémique, où l’auteur n’hésite pas à employer des termes très péjoratifs et des assertions fermes. S’il est enthousiasmé par le cinéma burlesque américain, admirant particulièrement Buster Keaton et Charlie Chaplin, il reproche au cinéma français sa morale et son puritanisme, son manque d’innovation et d’indépendance par rapport au théâtre et à la littérature et son réalisme plat, ne permettant pas l’accès au rêve ni au merveilleux. Seuls L’Arroseur arrosé de Louis Lumière ou les réalisations de René Clair échappent à ces critiques. Desnos admire aussi quelques films étrangers, comme le Chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dali (1928), qui se déploie comme un rêve, par associations. Pour Desnos, la grande époque cinématographique est celle de 1910-1918, où les films ne reculent devant aucune audace : s’y mêlent l’humour, le burlesque et surtout l’exaltation de l’érotisme. Le cinéma doit être créateur de fantasmes.


 C’est au cinéma que le désir d’amour est le plus chargé de pathétique et de poésie 

« Amour et cinéma », [1927] repris dans Les Rayons et les ombres Cinéma, Gallimard, 1992

 

 Je me suis toujours efforcé de ne pas faire de critique. En ce qui concerne le cinéma, je me suis borné à émettre des désirs. 


Robert Desnos, "La Morale du cinéma", Paris-Journal, 13 mai 1923.



Desnos admire particulièrement Louis Feuillade, réalisateur de Fantômas (cinq épisodes entre 1913 et 1914) et des Vampires (1915) : le poète y retrouve le romanesque, l’inattendu, l’aventure, la révolte et la liberté, mais surtout l’amour et la sensualité.

Robert Desnos, Fantômas, les vampires, les mystères de New York, s.d.

DSN 242

Louis Feuillade, Photographie de Musidora dans Les Vampires, 1915, Prod. DB/GaumontDR


Jeanne Roques, dite Musidora, célèbre pour son rôle d’Irma Vep, dans la série Les Vampires de Louis Feuillade, est l’une des nombreuses muses des poètes surréalistes. Pour toute une génération, elle est l’incarnation de la beauté fatale, et de ce que doit être selon Desnos le cinéma : un créateur de fantasmes.

Avec Man Ray
L'étoile de mer ou le cinéma du rêve

Capture d'écran à 4 min 09, Youtube


  Action spontanée et tragique d’une aventure née dans la réalité et poursuivie dans le rêve  


Robert Desnos, à propos de L’Étoile de mer, cité in Pierre Migennes, « Les Photographies de Man Ray », Art et décoration, décembre 1928. Repris dans Les Rayons et les ombres Cinéma, Gallimard, 1992

 

Les deux premiers films du photographe américain Man Ray – Le Retour à la raison en 1923, puis Emak Bakia deux ans plus tard - rencontrent peu de succès. Mais ce cinéma de l’expérimentation et de l’innovation, très déroutant et qui n’hésite pas à choquer, ne peut manquer d’intéresser Robert Desnos. Man Ray rapproche d’ailleurs son cinéma du mouvement surréaliste : « C’était du cinéma automatique », dit-il (« Témoignage », dans « Surréalisme et cinéma », collectif Études cinématographiques, 1er trimestre 1965 : n°38-39, 2e trimestre 1965 : n°10-42, p.288-289).

L’Étoile de mer, tourné en 1928, est un ovni artistique. C’est aussi le seul film où l’on peut voir Desnos. Il s’agit à l’origine d’un simple poème, à partir duquel Desnos écrit un scénario, avec un accompagnement musical. Man Ray le réalise lors du voyage du poète à Cuba. Plus qu’une simple illustration ou prolongation des vers de Desnos, il s’agit véritablement d’une nouvelle forme poétique, mêlant à l’univers du poète celui de Man Ray. Le film se compose de vingt et un cartons (dont les deux premiers proviennent d’une phrase écrite dans Deuil pour deuil, recueil paru en 1924).

 Les trois acteurs (un homme : André de la Rivière ; une femme : Kiki de Montparnasse, modèle et amante de Man Ray, muse des surréalistes ; un autre homme : Robert Desnos), ne sont pas comédiens de profession, Man Ray désirant ainsi obtenir un jeu spontané. Mais le personnage principal est sans conteste l’étoile de mer. Au-delà de l’attrait, au milieu des années 1920, pour les films animaliers, l’étoile de mer peut apparaître ici, dans une lecture érotique, comme une métaphore du sexe féminin. Elle s’insère parfaitement dans l’univers onirique et aquatique de Robert Desnos, qui désigne souvent Yvonne George comme l’Étoile.



            Si le film reçoit un accueil mitigé, c’est une collaboration heureuse entre les deux hommes. Desnos, reconnaissant, rend ainsi hommage à Man Ray, dans Les Rayons et les ombres : « Man Ray, triomphant délibérément de la technique, m’offrit de moi-même et de mes rêves la plus flatteuse et la plus émouvante image. »

 

L'Etoile de mer, bocal présent dans le film

 Je possède une étoile de mer (issue de quel océan ?) (…) et qui est l’incarnation même d’un amour perdu, bien perdu et dont, sans elle, je n’aurais peut-être pas gardé un souvenir émouvant. 


Robert Desnos, Les Rayons et les ombres

L’Étoile de mer de Robert Desnos, s.d., flacon de verre

MO 138

L’étiquette collée sur le flacon précise : « L’Étoile de mer » de Robert Desnos, remise à son ami Samy Simon en 1945 par Youki Desnos (la « Sirène ») pour le remercier d’avoir découvert l’urne contenant les cendres du poète après sa mort au camp de Terezin en Tchécoslovaquie, et permis leur retour à Paris.

Musique de Desnos pour L'Etoile de mer

Pour le poète, la musique au cinéma est « cette vie qui le rend supérieur à tous les arts » (Robert Desnos, « Musique et sous-titre », Paris-Journal, 13 avril 1923)

Film de Man Ray

Capture d'écran à 11 min 26, Youtube


Le film apparaît à bien des égards comme un film surréaliste. On y retrouve la fascination pour le mouvement, à travers les images d’un paquebot (l’image du bateau étant très familière au poète) ou encore les deux bocaux contenant des étoiles de mer et tournant sur eux-mêmes. Man Ray utilise aussi la figure de la métonymie, très appréciée par les surréalistes : au début du film, les pieds et jambes de l’homme et de la femme, en mouvement, sont des fragments de corps permettant de les caractériser. L’érotisme de cette scène se déploie tout au long du film, renforcé par les effets de flou. La présence du poignard à la fin du film semble faire référence aux vers du Journal d’une apparition, dont s’est également inspiré Man Ray. Mais il peut aussi s’agir d’un symbole phallique, renvoyant à certaines illustrations qu’a pu faire Labisse, comme celle du Bain avec Andromède.

 

https://www.youtube.com/watch?v=2KGk42wSsC8

 

Rêves de cinéma : des projets originaux

Robert Desnos, scénario de Les Récifs de l’amour, s.d

DSN 282


Desnos a écrit une vingtaine de textes scénaristiques, publiés mais jamais tournés. Carole Aurouet les qualifie de « ciné-texte », un « ciné-texte » étant un « écrit de poète destiné à être réalisé, qui s’affranchit de la littérature et du théâtre, et qui essaie d’inventer un nouveau langage avec ses propres spécificités » (Carole Aurouet, L'Étoile de Mer, Poème de Robert Desnos tel que l'a vu Man Ray, Rome, Gremese, coll. "Les Meilleurs Films De Notre Vie", 2018.). En effet, ces textes, comportant des indications techniques, semblent montrer que la finalité première était bien la réalisation. Généralement, ils sont extrêmement concis, jouant avec le fort pouvoir d’évocation de certaines images, suggérant des univers oniriques et incongrus.

Chanson pour le film Panurge


L’ensemble comprend une partition pour chant seul : « Paméla (tango) », « Chanson de Régine », « Valse de Régine », « Avec une auto... », « Chanson de Charlemagne ». Musique et paroles d'une écriture non identifiée, avec addenda et corrections de Robert Desnos. 

 

 

Robert Desnos, Chansons pour le film Panurge, s.d.

DSN 179

Que faisiez-vous le 4 avril ? scénario à sketches

Robert Desnos, Que faisiez-vous le 4 avril ?, s.d., manuscrit autographe, résumé d’un scénario à sketches
DSN 288



Cette écriture de scénarios sous forme de petits sketches est proche de celle que pratique un peu plus tard Robert Desnos dans de nombreuses émissions radio-phoniques, adaptant son écriture poétique à un support nouveau. Dès 1933, le poète se passionne pour le métier radiophonique. 

Les ondes poétiques

Les productions radiophoniques de Desnos témoignent d’une audace, d’une richesse d’invention, d’un sens du rythme, des effets sonores, du suspense et du gag radiophonique qui ont rarement été égalés depuis.


Samy Simon, « Robert Desnos pionnier de la radio » In Simoun, n°22-23 : Robert Desnos, Alger, 1956

 


Après la crise de 1929, la presse écrite ne rapporte plus suffisamment de ressources au poète. Il se tourne alors vers la radio, notamment grâce à son ami Paul Deharme.


Son talent s’exerce dans une production très riche et variée : des sketches, des drames radiophoniques, comme La Complainte de Fantômas, qui obtient un large succès, et des émissions en tout genre. Citons par exemple les Éphémérides radiophoniques. Cette émission quotidienne est diffusée sur Radio-Paris de décembre 1933 à février 1935. À leur date anniversaire, le poète évoque la vie de personnages célèbres, ou des événements historiques et culturels. Par l’invention de dialogues savoureux, il parvient ainsi à faire passer dans les milieux modestes une information culturelle attrayante. La visée est pédagogique, mais toujours accompagnée de divertissement. C’est l’émission La Clé des songes qui rencontre le plus vif succès, et permet au poète de continuer à explorer les frontières entre le réel et l’irréel, et les mystères des rêves, en recréant par des sons l’imaginaire qu’ils déploient.

Publicités : un nouveau langage poétique

 C’est peut-être dans le slogan publicitaire que sa virtuosité d’acrobate du vocabulaire, sa science prodigieuse du raccourci, du mot qui fait balle, alliés à un sens de la poésie populaire jamais en défaut trouvèrent le mieux à s’exercer.


Samy Simon, « Robert Desnos pionnier de la radio » In Simoun, n°22-23 : Robert Desnos, Alger, 1956

 


Travaillant pour les annonceurs du Poste-Parisien ou de Radio-Luxembourg, Robert Desnos invente des publicités pour plus d’une centaine de produits, de 1934 à 1939. Les textes, très brefs, sont souvent sous forme de dialogue ou de sketches, se terminant par un slogan publicitaire, facilement identifiable, la plupart du temps sous forme de chanson. Certaines d’entre elles restent très populaires, comme celle pour le vin de Frileuse : « Pour être bien portant / Buvez du vin de Frileuse / Pour être bien portant / C’est l’plus fort des fortifiants ».  Le poète devient l’auteur de quasiment l’intégralité des slogans publicitaires à la radio.

Cette nouvelle approche poétique le conduit à privilégier le rythme sur l’image, ce qui réorientera partiellement ses recherches poétiques ultérieures. Robert Desnos considère la rédaction publicitaire radiophonique comme une nouvelle activité artistique. Il redouble d’inventivité et laisse place à ses qualités de poète pour jouer avec les mots, comme il se plaît tant à le faire.

 

Correspondance et documents divers relatifs aux activités radiophoniques de Robert Desnos, s.d.

DSN 855

Le Vermifuge Lune

Robert Desnos, Vermifuge Lune, s.d.

DSN 429 (8)

Le pastis Berger

Robert Desnos, Anis Berger, s.d.

DSN 330 (1)

Anonyme, Affiche Berger, 1928. Coll. Walburger.


La Clé des songes : à l'écoute du rêve

 Selon la parole du poète, un rêve vaut mieux qu’un conseil. 


Robert Desnos, Radio-Magazine, février 1938 : Desnos présente sa nouvelle émission radiophonique « La Clé des songes »

 

 

En 1938, chaque semaine, sur le Poste-Parisien, l’émission La Clé des songes restitue de façon sonore deux rêves sélectionnés parmi le courrier abondant des auditeurs faisant le récit de leurs songes. Desnos, dans la lignée d’Artémidore d’Éphèse, recourt à une clé des songes antique, pour interpréter, toujours de façon ludique, et fidèle à ses visions incongrues, les rêves des auditeurs. Ne prétendant faire ni une interprétation scientifique, ni une analyse psychanalytique, le poète met en sons et en mots ce qu’il saisit de ces récits de rêves, et ne recule devant aucun présage. Si l’élément sonore l’emporte sur l’élément visuel, en raison des conditions même imposées par la radio, il s’agit toujours d’éveiller des images, des visions, mais en passant par l’ouïe. L’émission connaît un franc succès.

https://www.ina.fr/audio/P15152282/robert-desnos-homme-de-radio-audio.html?i=50&o=237

 

Robert Desnos, extrait de La Clé des songes, 1938, émission radiophonique, ina.fr

Notes de Desnos sur les rêves

 Écoutez donc ‘La Clé des songes’, sans trop y croire, mais en y croyant tout de même un peu, et plongez ensuite sans crainte dans les vastes océans du rêve, dans les profondeurs de la nuit. 

Réponses aux lectrice du journal Pour Elle

De la merveille et du drame plein les oreilles



La production radiophonique de Desnos est abondante. Le support particulier qu’est la radio l’amène à créer de nouvelles formes poétiques, dans lesquelles tout doit pouvoir passer par les sons. Il crée ainsi de nombreuses émissions, redoublant chaque fois d’inventivité, ainsi que des drames radiophoniques.  Son plus grand succès est sans conteste La Grande complainte de Fantômas, qui mêle chanson, poésie et théâtre. Le réalisateur ne cesse d’inspirer Desnos.

 

Robert Desnos, Scénario d’une émission radiophonique, s.d., manuscrit autographe

DSN 941

La Grande complainte de Fantômas, drame radiophonique

En 1933, à l’occasion du lancement d’un nouvel épisode de la série Fantômas, Robert Desnos crée à Radio Paris La Complainte de Fantômas, chanson ponctuée de sketches, reprenant les épisodes les plus importants du roman d’Allain et Souvestre. La direction dramatique est assurée par Antonin Artaud, qui tient aussi le rôle-titre. C’est l’écrivain cubain Alejo Carpentier qui s’occupe de la mise en onde sonore. Le succès est grand.


https://www.youtube.com/watch?v=JyZrWGyy_Ck

Extrait : La Complainte de Fantômas (musique de Kurt Weil, 1934), chanté par Catherine Sauvage (1961)

Robert Desnos, La Complainte de Fantômas, 1933, fragment manuscrit autographe

DSN 10

Robert Desnos, La Complainte de Fantômas, 1933, fragment manuscrit autographe

DSN 10

Scénario d'une émission radiophonique

Robert Desnos, Scénario d’une émission radiophonique, s.d., manuscrit autographe

DSN 941

Épilogue, épitaphes

 Ce que j'écris ici ou ailleurs n'intéressera  sans doute que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans quelques publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J'appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée.  


(Robert Desnos, Journal, 8 février 1944, in Œuvres, op. cit.p. 1265).

Thème astrologique de Robert Desnos 

BRT 37 bis

Croquis à la plume de Desnos imaginant son propre enterrement 

Dsn 507

Crédits

Conception et rédaction

Cette exposition virtuelle a été réalisée par les étudiants du séminaire de Laurence Campa dans le cadre du Master 1 recherche en Littérature française de l’Université Paris Nanterre : Laure Bitschène, Aurélia Brauch et Enock Vodounou (philosophie), avec la collaboration de Fanchen Ye.

 

Conception graphique et mise en espace numérique

Mélissa Cardinali-Gendron

 

Remerciements

Isabelle Diu, Jacques Fraenkel, famille Malkine, famille Masson.