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  • La collection sculptée de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet

La collection sculptée de la Bibliothèque littéraire Jacques doucet


Même si elle est totalement absente du legs originel de Jacques Doucet à l’Université de Paris le 1er juin 1929, la sculpture a occupé une grande place dans la vie du couturier-collectionneur. Jacques Doucet collectionne surtout la sculpture du XVIIIe siècle, dont il se sépare lors de la vente de ses dessins, pastels, sculptures, tableaux, meubles et objets d’art du XVIIIe siècle qui se déroule du 6 au 8 juin 1912 à la Galerie Georges Petit. Les bustes de Coysevox et de Houdon voisinent alors avec les nymphes de Clodion .
Au gré des dons et des legs, des ensembles cohérents sont entrés dans les fonds de la bibliothèque. Aux côtés des manuscrits et des correspondances, se trouvent de nombreux dessins, tableaux, objets personnels et sculptures. Les sculptures, portraits en buste, bas-reliefs et autres médailles et médaillons font en effet très souvent partie du ‘biotope’ du bureau de l’écrivain.

Saviez-vous qu’Henri Bergson a rassemblé plus d’une trentaine de médailles ? Que Paul Valéry est tombé amoureux de l’artiste chargée de modeler son portrait ? Qu’André Breton écrivit sur son expérience du moulage de son visage ?

Nous vous proposons de découvrir quelques exemples de la collection sculptée de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet.

Les médailles de Bergson


Depuis 1961, la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet est dépositaire du legs de Jeanne Bergson, la fille du philosophe. Le legs est composé des manuscrits des œuvres non imprimées, de la correspondance, des papiers personnels, des coupures de presse et de l’ensemble du bureau d’Henri Bergson. Le bureau comprend la bibliothèque ainsi qu’un certain nombre de meubles dont un cartonnier qui contient la collection de médailles de Bergson. Il en possédait environ une quarantaine. Au XIXe et au début du XXe siècle, la production et la collection de médailles sont très courantes. Les médailles permettent de garder une trace d’un événement personnel ou collectif.



Du prix de composition générale en version grecque du Lycée Condorcet en 1872 jusqu’au Prix Nobel de 1923, sans oublier l'entrée à l’Institut de France en 1901, la collection de médailles de Bergson retrace les grands moments de sa vie publique. Trois grandes familles de médailles composent la collection de Bergson. En premier lieu, les médailles décernées à Henri Bergson lui-même, prix scolaires, médailles commémorant ses distinctions honorifiques et promotions officielles (Institut de France, Ordre de la Légion d’honneur, Institut Lannelongue d’hygiène sociale, Prix Nobel...). En deuxième lieu, les médailles concernant un grand nombre de personnalités intellectuelles que Bergson admirait sans doute au point de vouloir posséder un médaille à leur effigie (Marcellin Berthelot, Charles Braibant, Henry Houssaye, Maurice Letulle, Christian Pfister, Sully Prudhomme Raymond Thamin, Pierre Janet...). La troisième catégorie concerne les médailles commémorant un événement précis tel que le bicentenaire de la fondation de la Nouvelle-Orléans par la France célébré en 1917, la libération de la Lorraine par les américains le 12 septembre 1918, la rencontre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique avec l’Académie française à Chantilly en 1921, la fondation du musée de la Légion d’honneur à l’Hôtel de Salm en 1925 ou encore le quatrième centenaire de la fondation du Collège de France en 1930.

Stèle et plaquette

Heinrich Kautsch est un sculpteur et médailleur né à Prague en 1859 et mort en 1943. Kautsch possède toutes les qualités attendues d’un bon médailleur, fils d'orfèvre, il est sensibilisé au travail des métaux. Sa formation de sculpteur à l’École Impériale des Arts décoratifs de Vienne lui offre une maîtrise des volumes et ses talents de médailleur, l’intelligence de la construction de l'espace en bas-relief. Les liens entre la médaille et la sculpture sont très étroits et il est intéressant d'analyser leur dialogue à travers les sujets choisis pour la médaille.

Kautsch réalise à la fois une médaille rectangulaire en argent de 10cm de hauteur et une stèle en bronze et marbre de 47cm de hauteur conservées dans les collections de la bibliothèque. La stèle et la médaille représentent toutes deux la même iconographie sur la face principale, Bergson en buste, de profil, vêtu d’un costume de ville. A l'avers de la médaille, une allégorie de la Renommée ou du Progrès, montre le chemin à l’homme de science indécis.

Kautsch, Heinrich. Plaquette Movet vita intellectum décernée à Bergson par ses élèves

1913
Henri Bergson, réalisée par Heinrich Kautsch" />

Kautsch, Heinrich. Plaquette Movet vita intellectum décernée à Bergson par ses élèves

1913
Henri Bergson, réalisée par Heinrich Kautsch" />

Kautsch, Heinrich. Henri
Bergson
, bas-relief en marbre et bronze

1913
Kautsch, Heinrich. Henri Bergson, bas-relief" />

Fait remarquable au sujet de la collection de médailles, celles-ci peuvent souvent être mises en rapport avec des œuvres sculptées.

Deux médailles de Suzanne Régis sont à mettre en lien avec le grand bas-relief en plâtre du fonds Bergson par le même sculpteur. Frappées à l’occasion du centenaire de la naissance de Bergson en 1959, les deux médailles ont été ajoutées de manière posthume à l’ensemble formé par Henri Bergson mort en 1941. Très peu d’informations nous sont parvenues au sujet de cette artiste et nous ne pouvons que supposer que le bas-relief en plâtre est la maquette qui a servi à sculpter le portrait de Bergson figurant sur les médailles mais également sur un autre bas-relief en bronze appartenant au Collège de France. Ce bas-relief en bronze appartenait à Jeanne Bergson, tout comme notre relief en plâtre et a été offert au Collège de France à l’occasion du Congrès Bergson. En comparaison avec le portrait réalisé par Heinrich Kautsch en 1913, Suzanne Régis, qui doit réaliser un portrait posthume, choisit de représenter Bergson âgé. Elle entoure le portrait des dates MDCCCLIX (1859) et MCMLIX (1959) en chiffres romains. Opposé au grand âge du modèle et au siècle qui vient de s’écouler, le revers de la médaille porte des mots évocateur de dynamisme et de vitalité : ''DUREE ELAN VITAL ENERGIE SPIRITUELLE'' dans une typographie claire et vigoureuse.

Bergson en petit et grand format

Régis, Suzanne. henri Bergson, Médaille commémorative, avers

1959
Suzanne Régis" />

Régis, Suzanne. Henri Bergson, bas-relief, plâtre


Régis, Suzanne. Henri Bergson, bas-relief." />

Régis, Suzanne. henri Bergson, Médaille commémorative,

revers

1959
Suzanne Régis" />

Un art didactique

Paul Landowski (1875-1961) signe une médaille qui commémore le philosophe, psychologue et théoricien ethnologue Lucien Levy-Bruhl (1857-1939). Landowski se plie à l’exercice de la médaille, du moins sur l’avers, de manière très traditionnelle. Le profil du grand homme est accompagné de son nom et d’une date, concrétisant le fait à commémorer. Cependant, au revers, le sculpteur reprend ses droits et prend quelques libertés avec la surface. Landowski parvient à insérer dans cet espace grand comme la paume de la main un paysage dans lequel évoluent plusieurs figures. Héritier de la volonté didactique de l’art du XIXe siècle, la médaille cherche à nous apprendre qui est Lucien Levy-Bruhl. L’avers fait référence à l’ouvrage le plus connu de Levy-Bruhl, dans lequel il théorise le concept de mentalité primitive (La Mentalité primitive, 1922). Deux hommes taillent une figure féminine à même la roche pendant qu’un troisième homme les éclaire grâce à un flambeau. Par cette scène ainsi que par l’inscription placée autour (MENS NON OMNIBUS UNA / NEC DIVERSA TAMEN) la théorie sur la disparité et la ressemblance des hommes est évoquée.

Le Savoir et le Collège de France

La carrière professorale d’Henri Bergson est liée à l’histoire du Collège de France dont il obtient la chaire de philosophie grecque et latine en 1900. Bersgon possédait une médaille de Pierre Turin (1891-1968) commémorant le quatrième centenaire de la fondation du Collège de France datée de 1930. Pierre Turin est le lauréat du grand prix de Rome de gravure de 1920.

Son esthétique emprunte du style ‘’Art Déco’’ est bien visible à l’avers de la médaille où l’on découvre une tête de femme aux cheveux stylisés. Allégorie du Savoir, elle brandit le flambeau de la connaissance qui éclaire le monde. L’autre face de la médaille en bronze est d’un style beaucoup plus classique et laisse la part belle à une sculpture datant du XIXe siècle et représentant le fondateur du Collège de France, Guillaume Budé (1467-1540). La gravure est la retranscription fidèle de la statue de Maximilien-Louis Bourgeois visible encore aujourd’hui dans la cour du Collège de France.

Turin, Pierre. Quatrième centenaire de la
fondation du Collège de france, avers.

1930
Pierre Turin pour le quatrième centenaire de la fondation du collège de France" />

Turin, Pierre. Quatrième centenaire de la

fondation du Collège de france, revers.

1930
Pierre Turin pour le quatrième centenaire de la fondation du collège de France" />

La fine fleur de la Nouvelle Orléans

Les médailles de la collection gardent également une trace des événements vécus par Bergson. Ainsi, l’étonnante médaille commémorant le bicentenaire de la fondation de la Nouvelle-Orléans par la France en octobre 1917. La médaille d’Abel Lafleur (1875-1953) est encore marquée par l’esthétique des médailles commémoratives des expositions universelles du XIXe siècle. Utilisant un vocabulaire allégorique assumé pour une compréhension simple et une évocation binaire des événements, le thème est clairement énoncé dans un cartouche orné de têtes de bisons. Sur l’avers, fruits, végétaux, ancre et caducée figurent les richesses de la nouvelle terre française rendue féconde par les hommes dont les noms sont inscrits sur des phylactères. 

Au revers, la vision colonialiste d’une France civilisée portant assistance à l’Amérique encore sauvage peut étonner l’œil contemporain. Nature et Culture s’opposent comme le blason fleurdelisé contraste avec le crocodile sur lequel l’allégorie de l’Amérique, parée de plumes, pose son pied.

Lafleur, Abel, Centenaire de la fondation de la Nouvelle
Orléans, médaille, avers

1917
Abel Lafleurà l'occasion de l'anniversaire de la fondation de la Nouvelle Orléans" />

Lafleur, Abel, Centenaire de la fondation de la Nouvelle
Orléans, médaille, revers

1917
Abel Lafleurà l'occasion de l'anniversaire de la fondation de la Nouvelle Orléans" />

Un livre d'histoire en miniature

''une médaille est un instant de la petite ou de la grande histoire figé dans le métal par un graveur''

Alfred Finot, Monument commémoratif, Flirey, meurthe et Moselle

1919
Alfred Finot" />

Finot, Alfred, La Lorraine aux Etats-Unis, 12 septembre 1918, plaquette, 7.5 x 8 cm

1919
Alfred Finot" />

Élu à l’Académie française au fauteuil d’Emile Ollivier (1825-1913) en 1914, Henri Bergson doit attendre la fin de la guerre pour être officiellement reçu le 24 janvier 1918. De cette période, Bergson possède une médaille commémorant la libération de la Lorraine par les soldats américains le 12 septembre 1918. La médaille est réalisée par Alfred Finot (1876-1947). La plaquette uniface en bronze est de forme cintrée. Cette forme se retrouve sur le monument public à la Lorraine reconnaissante réalisé également par Finot dans la commune de Flirey en Meurthe-et-Moselle et dont la médaille est une transcription fidèle. Grâce à la médaille, il est donc possible d’avoir un morceau d’histoire au creux de la main et de faire entrer dans tous les foyers la grande histoire et la sculpture commémorative publique.

L'art du moulage :
le masque mortuaire
de Paul Verlaine à Paul Valéry

Paul Valéry (1871-1945)

La Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet ne rassemble pas moins de sept portraits sculptés de Paul Valéry. Trois d'entre eux sont des portraits en buste par les sculpteurs Barry, Henri Vallette et Renée Vautier et trois autres sont des bas-reliefs : un médaillon en plâtre de Duchemin et deux médailles en bronze par Delanoy et Bonnetain.

En 1945, le décès de Paul Valéry est immortalisé par la célèbre photographie de Laure Albin Guillot. Un moulage en plâtre du visage de l'écrivain est également réalisé par un mouleur inconnu. Le moulage en plâtre, sans concession, trahit déjà l'emprise de la mort sur les traits du défunt, les chairs s’affaissent et les orbites se creusent.

Le masque mortuaire de Paul Valéry conservé à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet est un témoignage direct de la prise d’empreinte sur le visage du grand homme. En effet, des poils de la célèbre moustache de Valéry sont emprisonnés dans la matière lors de la coulée du plâtre frais dans le moule en creux obtenu après application du plâtre sur le visage de Paul Valéry.

Anonyme. Masque mortuaire de Paul
Valéry, plâtre

1945

Les cinquante visages de Paul Verlaine

Les protagonistes

Cazals, Auguste, Paul Verlaine 

Postérieur à 1894
Frédéric-Auguste Cazals" />

François-Auguste Cazals (1865-1941) est un ami proche de Paul Verlaine (1844-1896). Bohème et journaliste, il est aussi illustrateur et dessinateur. Cazals croque Verlaine dans toutes sortes de situations, les deux hommes sont très proches et vivent même un temps dans le même immeuble. Cazals prend souvent soin de Verlaine et le dessine tout aussi souvent. Il est en quelque sorte son ‘’ peintre ordinaire’’.

''Cazals est de tous ceux qui ont évoqué Verlaine celui qui l’a le mieux connu et vécu le plus dans son intimité ''   (François Ruchon)


C'est donc légitimement que Cazals prend l’initiative de faire mouler le masque du maître lorsque sa mort survient à Paris, le 8 janvier 1896.






Ernest Delahaye (1853-1930) est un autre grand ami de Paul Verlaine : ami d’enfance d'Arthur Rimbaud (1854-1931) du collège de Charleville, il rencontre Verlaine à Paris en 1871. Jacques Doucet achète les dessins de Delahaye conservés par Verlaine de sa correspondance avec celui-ci.

 



Delahaye, Ernest  « Verlaine arrivant chez Delahaye»

1878
Verlaine arrivant chez Delahaye»" />
           

Vittorio Meoni (1859-1937) est le mouleur professionnel qui, aidé du poète Erasme Anger, est chargé par Cazals de prendre l’empreinte du visage de Paul Verlaine, le 9 janvier 1896 à cinq heure du matin. Au préalable, il est nécessaire d'obtenir l’autorisation du préfet de police afin de procéder au moulage. Après les nombreux hommages des proches et admirateurs du poète et les formalités administratives, le mouleur est appelé fort tard. Les traits du visage du défunt sont déjà quelques peu altérés.

      

’Verlaine n’a été fait vraiment bien que par F.-A. Cazals’’ (Ernest Delahaye)

           

Cazals décide de faire réaliser cinquante masques mortuaires et de les offrir aux proches de Verlaine. L’argent avancé par l'écrivain Paul Vérola (1863-1931) permet de mener à bien cette initiative. Le plâtre initial est déposé au Musée Carnavalet.  Le moule original a été détruit et aucun masque n’a été vendu. La liste des personnes ayant reçu un masque est connue, parmi elles le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (Emile Combes), Georges Verlaine, Stéphane Mallarmé, Jean Moréas, Paul Vérola, Ernest Delahaye, J.-K. Huysmans, le Comte Robert de Montesquiou-Fezensac, Maurice Barrès, François Coppé, Auguste Rodin, Mme Rachilde, Félix Fénéon, Gustave Le Rouge, Niderhausern-Rodo…

      

Méoni, Vittorio. Masque mortuaire de Paul Verlaine,
exemplaire du Musée
carnavalet, dans "Verlainiens et décadents"

1896
           

La Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet possède le masque mortuaire en plâtre offert par Cazals à Ernest Delahaye. Il porte le numéro 7 ainsi que l'inscription suivante : ''offert à Ernest Delahaye 10 mars 1896 F.A Cazals''.

Les collections comprennent également un second exemplaire, non dédicacé et qui présente une fêlure sur le haut du crâne. Il s'agit sans doute d'un des deux masques brisés lors de l’opération de surmoulage et qui n’ont jamais été attribués.

      

Méoni, Vittorio. Masque mortuaire de Paul Verlaine portant le numéro 7,
dédicacé à Delahaye

1896

Méoni, Vittorio. Masque mortuaire de Paul Verlaine sans numéro

entre janvier et mars 1896

Le refus de Mallarmé


Stéphane Mallarmé (1842-1898) se rend au chevet du maître défunt après la foule des proches. Le moulage est déjà commencé. Il dépose auprès de Verlaine un bouquet de violettes et assiste à l'opération. Cazals et Gustave Le Rouge (1867-1938) témoignent dans leur ouvrage ''Les derniers jours de Paul Verlaine'' (1928) de la douloureuse épreuve que fut pour eux d'assister au moulage du visage de Verlaine.


''Un moulage offre en raccourci, toutes les hideurs d’une dissection ou d’une exhumation. Le masque de plâtre une fois arraché, le pauvre visage qu’il recouvrait apparut défiguré, boursouflé et dépouillé partiellement de la barbe et des sourcils dont les poils étaient restés pris dans le plâtre. Nous n’oublierons jamais ce lamentable spectacle !

Une demi-heure auparavant c’était encore Paul Verlaine que nous avions devant nos yeux ; à présent, ce n’était bien, vraiment, qu’un cadavre !''

 

Et précisent que ''Stéphane Mallarmé se retira profondément impressionné''.

 Peu après, Mallarmé apprend qu'un exemplaire du masque lui est dédié mais il le décline par une lettre à Cazals :

''Paris Dimanche

Mon cher ami

(...)dans un si exigü (sic) appartement, le nôtre, avec ma femme malade et ma fille, je craindrais, de placer en évidence, comme il convient, un moulage funèbre. Personnellement même, je vis, tant, avec les souvenirs de Verlaine vivant et les admirables portraits de lui faits par vous, Cazals, que je préfère ces reliques de l’amitié et de l’art, où la mort ne mit pas d’empreintes et m’en contenterais. Merci de tout cœur, que vous ayez pensé à moi, je vous presse la main et le ferai mieux à la prochaine et toujours bonne occasion de la serrer. Stéphane Mallarmé''

La technique du moulage

Cazals, AUguste. l'opération de moulage le 9 janvier 1896 à 5h du matin, dans "Les derniers jours de paul Verlaine"

entre janvier et mars 1896

Dans les almanachs professionnels du XIXe siècle, on trouve le métier de mouleurs ''sur nature vivante ou après décès''. Ceux-ci sont assistés d’un aide, souvent un sculpteur débutant. Le moulage, technique ne faisant pas appel à l’imagination est une pratique non noble selon la hiérarchie de la sculpture. Cependant, il arrive que des sculpteurs prestigieux soient invités à retoucher le moulage d’hommes célèbres comme c’est le cas pour Aimé-Jules Dalou (1838-1902) auteur de Victor Hugo sur son lit de mort (Musée d’Orsay).


La technique reste identique qu’il s’agisse d’un moulage sur le vivant ou sur un défunt. Il est indispensable tout d’abord de graisser, à l’aide d’un pinceau, la peau et les parties pileuses (sourcils, barbe…) afin d'éviter l’arrachement des poils lors du démoulage. On applique d’abord le plâtre, en couche très fine à l'aide d'un pinceau. On amasse ensuite à la main le plâtre sur le visage pour l’enfermer dans une gangue. Au préalable, un fil est placé sur le visage, du front au menton, suivant la ligne du nez, afin de faciliter le démoulage. S’il s’agit d’un moulage sur un modèle vivant, on aura pris soin de dégager deux cavités sous les narines afin que le modèle puisse respirer pendant l’opération de séchage d’une durée de dix minutes. Pour le moulage d’un défunt, l’affaissement des chairs sous le poids et la chaleur du plâtre rend parfois nécessaire le rembourrage des joues avec du coton. Après le démoulage, on obtient la trace en creux du visage du défunt. On coule dans cette empreinte en creux du plâtre liquide afin d’obtenir une reproduction du visage en relief. L’opération de moulage de l’empreinte en creux peut être répétée autant de fois que nécessaire pour obtenir les cinquante exemplaires voulus.

Le Masque du jour
André Breton et le Moulage sur nature

Le moulage sur nature est une pratique d’atelier répandue et ancienne qui permet la reproduction fidèle d’un volume. Outils de travail du sculpteur, il devient un objet de scandale quand on l’accuse, comme la photographie, d’entretenir avec le réel un rapport trop ténu. Accusé de copier la nature au détriment de l’invention du génie, le moulage est mal considéré du point de vue artistique mais plébiscité par la science pour son exactitude.

Les surréalistes, prêtant une grande attention à l’esthétique du morceau, de l’élément isolé et du collage s’emparent du moulage sur nature qui rend possible la prise d’empreinte sur le réel. Réactivant l’inquiétante étrangeté (das Unheimliche) théorisée par Sigmund Freund, André Breton se prête au jeu du moulage entre les mains de Paul Haman en 1933. Ce masque rassemble nombre de thématiques surréalistes. L’objet, pouvant être accroché au mur est ancré dans le quotidien et permet de rechercher la puissance du rêve dans l’aspect le plus concret du réel : le moulage sur nature, témoin irréfutable du réel, ouvre des portes vers le rêve. Le dormeur, les yeux fermés pour la prise du plâtre est représenté les yeux vides mais ouverts (Lien vers André Breton, Photomaton, les yeux fermés). La mort, l’immobilité et les paupières closes sont contrariés par l’exactitude anatomique, très (trop) proche de la réalité : le grain de peau et les détails sont figés dans une synthèse poétique des antagonistes propres à l’esthétique surréaliste. 

Le Masque du Jour



On note l’intérêt profond des surréalistes pour le masque qui convoque l’art de la dissimulation et la dualité de l’être. Du masque africain ou amérindien au masque à gaz, il est symbole de mystère et d’inconnu. Masque à igname de Papouasie-Nouvelle Guinée ou masque kiipak du Groenland, ils étaient nombreux à peupler l’atelier d'André Breton, rue Fontaine.


Après la séance de moulage de son visage en plâtre par Paul Hamman, André Breton rend compte, dans Le Masque du Jour de son expérience.


‘’L’accueil de Paul Haman, la sûreté de ses gestes, la distribution parfaite de son temps, le souci qu’il a d’éviter qu’on perde contact, ne dut-ce qu’un instant, avec le monde extérieur, sont pour rendre très tolérable l’idée de ce singulier petit mur dans lequel on entre et qui ne laisse passer qu’un souffle par les narines, qu’une lueur entre les paupières.’’


Lien vers le manuscrit du Masque du jour, André Breton

Les Portraits
de la Bibliothèque Littéraire
Jacques Doucet

Paul Valéry par Henri Valette

Paul Valéry, préfacier du sculpteur

Paul Valéry préface le catalogue qui accompagne l’exposition du sculpteur Henri Vallette (1877-1962) qui s’est tenue du 4 au 18 janvier 1939 à la Galerie Charpentier, à Paris. Paul Valéry a été le modèle d’Henri Vallette en 1926 pour un buste en bronze conservé à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet. La préface adopte la forme d’une lettre au sculpteur dans laquelle se mêlent habilement marque d’estime, éloge et témoignage personnel.


Mon cher Artiste,

Je suis heureux de vous dire, à l’occasion de l’exposition de votre œuvre qui va s’ouvrir prochainement, en quelle estime je tiens votre effort si soutenu, et qui porte sur les parties les plus solides et les plus profondes de votre art.

L’étude scrupuleuse des formes des êtres vivants, doit, en effet, être le souci fondamental de tous ceux qui ont compris que l’essence des arts d’imitation est la connaissance, et que la création dans cet ordre doit se prononcer et se développer dans le réel.

Je sais avec quelle attention anxieuse vous observez, pendant votre travail, le modèle vivant que vous vous êtes proposé, et combien vous vous appliquez à conserver cette relation subtile qui existe entre les caractères essentiels de la structure anatomique des êtres et tous les traits, parfois si changeants, parfois presque imperceptibles qui définissent une personne, un spécimen unique. Je le sais pour vous avoir été moi-même votre modèle, pendant des séances au cours desquelles, si vous étudiiez mon visage et mon crâne, j’observais de mon côté le regard qui m’observait.

Vous savez d’ailleurs, que, en fait d’art, l’exécution, pour moi, ou l’idée que je m’en fais, est plus intéressante, parfois plus passionnante que tout œuvre.

Je me réjouis de cette prochaine réunion de tous vos travaux dont je ne connais encore que quelques uns. Vous avez abordé, je le sais, nombre de problèmes de votre art et une double variété de recherches apparaîtra dans l’exposition qui va s’ouvrir : vous avez su traiter successivement la figure humaine, le buste, c'est-à-dire le portrait, et l’animal. D’autre part, vous avez poursuivi cette œuvre dans une grande diversité de techniques et de matières : marbre, pierre, bois…

Je souhaite de tout cœur, mon cher Artiste, que la probité et la rigueur dans la volonté de perfection qui distinguent votre carrière et qui vont se manifester aux regards du public reçoivent toute l’attention et vous vaillent toute l’estime qu’elles méritent.

Paul Valéry.


Valéry et Valette


L’artiste et le modèle d’un jour ont gardé un très chaleureux souvenir de ces moments privilégiés que sont les séances de pose. Henri Vallette écrit à Paul Valéry :


Mon cher maître et ami

Je tiens à vous dire mieux que vous ne m’en avez laissé le temps hier combien j’ai été profondément touché de la marque d’amitié et d’estime que vous avez pris le temps de me donner jusqu’à mon atelier. Vous avez montré qu’un grand esprit peut se baisser sans s’abaisser.

Mes remerciements et ma dévouée admiration.

Henri Vallette

Vallette, Henri. Paul Valéry, buste en bronze

1926

Un certain regard


Le buste est découpé en hermès, le torse nu est arrêté avant les épaules. Il émane du portrait une vivacité surprenante. La chevelure est savamment mise en volume en mèches sur un front haut et mobile. Les yeux surtout, participent de cet effet dynamique puisque, chose rare, la pupille et l’iris sont sculptés.


Le visage présente alors un vrai regard, chose très malaisée à rendre en sculpture. Creuser la pupille de ses modèles n’est pas systématique chez Henri Vallette.


Est-ce une marque d’estime ou l’importance du modèle qui pousse le ‘’premier imagier’’ de Valéry à rendre ce regard ? Il est possible qu’il s’agisse d’une volonté propre à Paul Valéry puisque nous savons qu’il le demande à son autre portraitiste, Renée Vautier, quelques années plus tard.

Vallette, Henri. Paul Valéry, détail

1926

Paul Valéry 
par 
Renée Vautier

Renée Vautier (1898-1991)

Renée Vautier est une femme sculpteur née en 1898 à Paris et décédée en 1991. En 1931, elle entreprend le portrait de Paul Valéry. Peu de temps après l’achèvement du buste, en 1935, Renée Vautier expose les sculptures réalisées entre 1923 et 1935 à la Galerie Charpentier. Le catalogue, simple liste des 26 œuvres exposées, est doté d’une longue préface intitulée ‘’Mon Buste‘’ et signée par Paul Valéry. Le texte est illustré de trois photographies de son buste par Renée Vautier.


Deux versions du buste de Paul Valéry sont réunies lors de l’exposition à la Galerie Charpentier : l’exemplaire en plâtre de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet ainsi qu’un exemplaire en bronze acquit par l’Etat en 1936 et conservé au Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou (Le musée Paul Valéry de Sète et le Centre Universitaire Méditerranéen de Nice conservent également un exemplaire du buste de Paul Valéry par Renée Vautier).

Renée Vautier sculpte le buste en plâtre de Paul Valéry,
Le Figaro

1934

Le plâtre a sans doute été donné par l’artiste à Paul Valéry alors que le bronze a été acheté par l’Etat. Il est très courant qu’un exemplaire en terre ou en plâtre soit donné au modèle. Pour Renée Vautier, plus qu’une simple esquisse, le plâtre semble avoir également valeur d’original. Des photographies montrent l’artiste au travail, sculptant directement sur le plâtre frais.



Vautier, Renée. Paul Valéry, plâtre

1934

Vautier, Renée. Paul Valéry, pl^atre, détail de la couture

1934
Le travail direct sur le plâtre est courant depuis la fin du XIXe siècle où l’on observe un retour des sculpteurs au contact immédiat avec la matière. L’exemplaire de la Bibliothèque n’est pas l’esquisse en plâtre que Vautier a sculpté mais un moulage en plâtre, fait à partir de l’original. Les traces de ce moulage persistent en une longue ligne appelée ‘couture’ visible sur le plan vertical droit du socle. Valéry se rend dans l’atelier de Vautier rue du Ranelagh durant quelques mois en 1931.

Mon Buste


Dans la préface du catalogue, Valéry conjugue l’analyse de ses impressions en tant que modèle scruté par l’artiste et des réflexions plus générales sur la sculpture.


‘’Je me résignais à la pénitence d’être pétrifié longuement, et me divertissais dans mon esprit d’une immobilité (qui, de temps à autre, me paraissait éternelle) par l’imagination des questions, des variations, des doutes, des repentirs et des décisions qui devaient se produire dans l’intime de mon sculpteur.’’


             Pendant les séances de pose, Valéry, installé ‘’sur un siège élevé, mais d’assiette étroite et de stabilité précaire’’ sous les yeux aguerris du sculpteur, observe l’artiste à son tour.


‘’Son visage net et charmant passait et repassait de l’expression d’une dureté impérieuse à celle d’une joie enfantine, et tout le groupe des émotions d’un combat avec l’idéal y paraissait en quelques instants. Le visage de celui qui crée travaille singulièrement’’.


‘’Elle s’arrête tout à coup, se rapproche, s’éloigne, se fixe, sans souffle, le front durement froncé. Je veux parler…on m’impose silence. On me regarde comme une chose. On sourit ; mais ce n’est pas à moi que l’on sourit. C’est à mon nez, dans lequel on vient enfin de discerner certain petit « plan »'

‘’La nuque d’argile effleurée fait frémir toute la chair du modèle’’ (Valéry, Cahiers)

Valéry reste cependant muet à propos de la passion qu’il éprouve pour l’artiste. Il est, en effet, épris de Renée Vautier pendant plusieurs années, sans toutefois que leur relation ne perde son caractère platonique. Renée Vautier est surnommée, dans l’intimité, NR ou Néère, suivant l’anagramme de son prénom et en référence à une fille de Niobée selon Apollodore dans un poème d’André Chénier.


‘’Un portrait est un compromis entre les lignes de force de la tête du dessinateur et la tête du dessiné.’’ Passages, (1950)


Les longues heures de pose pour lesquelles Valéry est prêt ‘’ à souffrir presque en silence le supplice d’être modèle’’ se transforment en moment d’étude et de réflexions sur la sculpture : ‘’j’ignorais donc ; et j’ignorais que j’ignorais, - ce qui est beaucoup plus grave – quand Mme Renée Vautier m’ayant pris pour modèle, il fallut bien que le spectacle de son immense travail, duquel je devenais partie, me fît enfin concevoir que la sculpture m’était prodigieusement inconnue’’

La grande Querelle de l'artiste avec son modèle

Valéry ne semble pas avoir été un modèle discret et silencieux, il évoque de nombreux points de désaccords, où, ne retrouvant pas dans les volumes sculptés la vérité subjective de son image il court au miroir, se palpe le visage, cherche en tâtant sur l’esquisse ‘’la correspondance des formes’’.


’Mais la grande querelle de l’artiste avec son modèle s’est engagé sur la grave et difficile question des yeux. Barbare que j’étais, je lui enjoignais, je l’adjurais, de creuser dans leurs globes de petites cavités figurant au naturel les trous noirs des pupilles, et de ne négliger ni le point lumineux ni les fibrilles des iris. J’invoquais Houdon, qui sut nous conserver les regards de tant de modèles. Rien n’y fit. L’opiniâtre Vautier demeura inflexible, et mes yeux sans prunelles’’. 


Malgré le regard vide, l’artiste a su capter l’essentiel de la physionomie de Paul Valéry qui permet de le reconnaitre immédiatement : la raie séparant les cheveux en deux masses égales sur le large front, la moustache et les sourcils foisonnants, le visage fin aux rides profondes partant des ailes du nez vers la bouche.


Vautier, Renée. Paul Valéry, plâtre, détail du visage

1934

sculptrice et aviatrice

Dans les années trente, le travail des sculpteurs femmes était presque irrémédiablement jugé en fonction de la virilité et de la puissance nécessaire, selon beaucoup, au travail de la matière. La personnalité forte de Renée Vautier, qui ‘’pratique aussi la manœuvre des appareils volants’’ en tant qu’aviatrice, ne déroge pas à la règle.


En signant cette préface, Paul Valéry semble avoir mis au service de l’artiste la notoriété de sa plume comme l’artiste a mis son ciseau de sculpteur au service du grand homme. Les journaux se sont fait l’écho de ce duo artiste-écrivain et le fonds Valéry ne rassemble pas moins de neuf articles de presse concernant le buste de Valéry par Vautier dont une revue grecque NEOEλλHNIKA ГPAMMATA qui transcrit entièrement l’article ‘’Mon Buste’’ dans ses colonnes du 21 juillet 1935 ou le Figaro du 14 mars 1935 qui livre en avant-première un extrait de la préface.

''La puissance d’exécution est, dans ce domaine, une des plus belles qualités ; rare chez les hommes-sculpteurs, elle est exceptionnelle chez la femme’’ PH, Le Figaro

Stéphane Mallarmé et le fonds Mondor

Henri Mondor (1885-1962), éminent chirurgien entré à l’Académie des sciences en 1961, est également un historien de la littérature. Il a été élu à l’Académie Française au fauteuil de Paul Valéry en 1946. Mondor est l'auteur de la première biographie complète de Stéphane Mallarmé. De son vivant, Mondor fait don à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet des manuscrits d’Alain puis des documents concernant Maurice Barrès. A sa mort, en 1962, il lègue l’ensemble de ses archives littéraires à la seule condition que son cabinet de travail soit reconstitué à l’identique. La Bibliothèque conserve ainsi les meubles, la bibliothèque et les objets qui ont entouré Mondor lors de ses recherches littéraires. Deux axes définissent son étude de la littérature : d’une part le courant symboliste et d’autre part l’œuvre de Stéphane Mallarmé.


Au sein du fonds Mondor, un objet attire l’attention, il s’agit d’un bas-relief en bronze représentant Mallarmé réalisé par le sculpteur Raoul Lamourdedieu (1877-1953).


Raoul lamourdedieu, portraitiste

Sculpteur et médailleur, élève de l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux puis professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Raoul Lamourdedieu est d’abord influencé par Auguste Rodin. En 1900, il fait partie des très nombreux sculpteurs chargés de réaliser le riche décor du Grand Palais pour l’Exposition Universelle.

Très vite, il se rapproche du travail d’Aristide Maillol et d’Antoine Bourdelle. Ces œuvres s’imprègnent du style Art Déco comme le montre la Fontaine de l’Amour, l’éveil à la vie (1926) située place de la Porte-d’Auteuil à Paris.

Raoul Lamourdedieu est chargé par la Société Mallarmé de réaliser une plaque rectangulaire en bronze à l’occasion du 25e anniversaire de la mort du poète en 1923.

La plaque de 50cm de hauteur, installée sur la maison de Valvins, est un portrait de Mallarmé. Elle comporte l'inscription suivante: ''Stéphane Mallarmé habita de 1874 à 1898 cette maison qu’il aima et où il mourut''

La même année, Lamourdedieu réalise une médaille tirée à 200 exemplaires à l'iconographie identique à celle de la plaque commémorative.



Le bas-relief conservé à la bibliothèque par l'entremise du legs Mondor est issu de ce travail de commande.

Lamourdedieu réalise un portrait posthume et doit chercher des modèles parmi les portraits peints, dessinés ou les photographies qui existent. Son choix s’est sans doute arrêté sur deux photographies de Paul Nadar (1856-1939) dont l’une, conservée au musée départemental Stéphane Mallarmé montre le poète au même âge, environ 40 ans et dans la même position, mettant en valeur son large nœud de cravate et sa moustache. Le portrait sculpté est également à rapprocher d’une autre photographie de Paul Nadar conservée à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet et datant du début des années 1890. 

Nadar, photographie de Stéphane Mallarmé, épreuve ancienne, vers 1890


Lamourdedieu, Raoul. Stéphane Mallarmé, bas-relief, bronze

1923

Notons qu’en 1950, Henri Mondor a lui même dessiné et lithographié un portrait de Mallarmé en s’inspirant d’une photographie de Carjat datant de 1877 qui présente Mallarmé jeune et qui sera utilisé pour illustrer un article paru en février 1962 dans le journal La Liberté et intitulé ''Autres précisions sur Mallarmé et inédits par Henri Mondor''.

Eventail de Madeleine Roujon, avec un poème autographe de Stéphane
Mallarmé
.

1895
Madeleine Roujon, avec un poème autographe de Stéphane Mallarmé." />
Mondor possédait plusieurs objets en lien avec Mallarmé tels que plusieurs éventails sur lesquels sont inscrits des poèmes autographes de Mallarmé et de nombreux portraits de l’auteur et de ses proches

La chèvre amoureuse...

Nadar, photographie de
Stéphane Mallarmé


Aisément reconnaissable, le visage du poète dévoile des signes distinctifs tels que la moustache, le regard vif et les oreilles à la forme allongée. François Coppée, dans La Patrie du 23 février 1883 dresse le portrait suivant ''Voici le singulier, le compliqué, l’exquis Stéphane Mallarmé, petit, au geste calme sacerdotal, abaissant ses cils de velours sur ses yeux de chèvre amoureuse et rêvant à de la poésie qui serait de la musique, à des vers qui donneraient la sensation d’une symphonie''

Magie de la littérature, l’auteur semble posséder les caractéristiques physiques de son œuvre. Ses contemporains lui trouvent une ressemblance affirmée avec son faune, protagoniste mi-homme mi- chèvre de l’Après-Midi d’un Faune, poème en alexandrins publié en 1876 et mis en musique entre 1892 et 1894 par Claude Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune) et sur lequel Vaslav Nijinsky danse avec les Ballets Russes en 1912.

...et le chèvre-pied

''Me trompé-je ? ou séduit par son Après-midi lui ai-je vraiment vu les oreilles pointues du Faune ? Il serait beau que ce passant discret eût dissimulé sous son écharpe de laine écossaise la barbe bifide et folle du chèvre-pied, et sous son petit chapeau de professeur bien rangé les oreilles de Pan, divin ménétrier''. (André Suarès)


Journal La Plume, invitation au 8eme banquet de La Plume, Stéphane Mallarmé, 1893
(gallica)


La caricature va parfois plus avant dans la farce comme lorsque Frédéric-Auguste Cazals représente Mallarmé en faune, pieds de boucs, oreilles pointues et paire de cornes à l’appui mais vêtu tout de même de sa jaquette de soirée en qualité de vice-président sur l’invitation au 8e banquet de La Plume (1893). Il présente sa flûte de Pan à un Paul Verlaine statufié tout aussi faunesque. Mondor raconte d’ailleurs lui-même que, lors de la rencontre entre Stéphane Mallarmé et Victor Hugo, ce dernier aurait pincé ''l’oreille un peu faunesque'' de Mallarmé

Une restauration

Déprez, Gaston. Paul Verlaine, état avant restauration, cire


Déprez, Gaston. Paul Verlaine état après restauration, cire


La Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet a entrepris de faire nettoyer par une restauratrice spécialisée dans les objets en cire un portrait de Paul Verlaine par Gaston Déprez.

Le buste en cire, était, de par la nature même du matériau, sujet à l'empoussièrement. En effet, la cire, grasse, capture et retient les poussières et autres salissures.


Sur les zones saillantes plus exposées comme le bout du nez ou la moustache, la patine brune avait disparu, laissant la cire à nu. Les parties creuses étaient, quand à elles, encrassée et plus sombres. Il en résultait un aspect hétérogène rendant difficile la lecture des volumes.


L'enjeu de la restauration consiste à trouver le bon équilibre dans l'avancement du nettoyage afin de retrouver la teinte de la patine originale dans un souci d'homogénéité et de respect de l'intégrité de l'oeuvre.

Isabelle Waldberg (1911-1990)

La sculptrice Isabelle Waldberg, de son nom de naissance Margaretha Farner, est née en 1911 en suisse allemande. Vivant à Paris dans les années 1930, sa rencontre avec le sculpteur Alberto Giacometti est décisive. Elle arrive à New-York en 1942 où elle retrouve son mari Patrick Waldberg, citoyen américain et les ''exilés de marques'', André Breton, Marcel Duchamp et Robert Lebel. A la fin de l’année 1945, Isabelle Waldberg et son fils regagnent Paris. Elle fréquente à nouveau Giacometti, Michel Leiris ou encore Georges Bataille. Après l’élégance et la modernité de New-York, que l'artiste transcrit dans son œuvre par l'utilisation de fines tiges de fer ou de hêtre, le retour à Paris est un choc. Isabelle Waldberg revient au plâtre et dévoile en 1953 des sculptures trapues et ramassées à l’instar des ''maisons cramponnées au sol'' de Paris.

GB ou un ami presomptueux

Proche de nombreux sculpteurs, mais également de peintres et d’écrivains comme Robert Lebel et Dominique Le Buhan, elle entretient une relation particulière avec Michel Fardoulis-Lagrange (1910-1994). Ensemble, ils créent un étrange livre-objet hommage à Georges Bataille paru en 1969 intitulé G.B ou un ami présomptueux. Pour enrichir 50 exemplaires sur vélin d’Arches, Isabelle Waldberg réalise une gouache et une statuette en bronze. Créant un pont entre sculpture et littérature, la maison d’édition du Soleil Noir présente les 50 exemplaires de tête debout dans un emboîtage en plexiglas jaune fluo qui s’insère dans un socle noir et à côté duquel se fixe une statuette abstraite en bronze d’une quinzaine de centimètres. En 1943, elle avait déjà collaboré avec un écrivain pour illustrer par des gouaches Masque à lame de Robert Lebel, mais la sculpture était absente de cette démarche. De par son amour personnel pour la littérature et à travers le cercle d’écrivains qu’elle côtoie tout au long de sa vie Isabelle Waldberg entretien un rapport ténu avec la poésie et nourrit sa sculpture de celle-ci. Elle parvient à concevoir une sculpture ''suffisamment physique et mentale pour qu’elle put prendre place en de certains lieux, auprès des êtres humains, et éventuellement de leurs livres''.

Il semble bien que toujours le portrait la préoccupa

Passionné par le modelé des visages dès les débuts de sa carrière à Zurich où elle vit de portraits de commande, Isabelle Waldberg affirme : ''une sculpture, on la tient près de soi, on est en dialogue avec elle, elle deviendra l’autre''. En Suisse, c’est son maître Hans Jakob Meyer qui lui enseigne la technique directe du modelage en plâtre. La sculpture est formée par ajout de matière et non par retranchement comme dans la taille directe. Rapidement, une rupture se fait : ''Comment aurais-je pu continuer à sculpter des portraits de commande sans savoir tout ce qui préoccupe un esprit ?'' dit-elle à Robert Lebel.

L’artiste demeure constamment à la frontière entre sculpture abstraite et figurative : ''Ce qui m’intéresse, c’est de tout inventer…Pourtant on a dit que mes sculptures étaient des plantes ou des animaux ! Ce n’est pas intentionnel…je veux dépasser cela, sans pour autant être abstraite''. Elle applique ces mêmes principes au genre du portrait, omniprésent dans sa production sculptée. Inspiré par Germaine Richier, Giacometti ou encore Brancusi, Waldberg propose deux types de portraits, d’une part des portraits figuratifs identifiés à un modèle précis comme la tête de Michel Fardoulis-Lagrange et d’autre part des portraits abstraits relevant néanmoins de l’étude du caractère du modèle (Portrait abstrait de Marcel Duchamp 1958). Waldberg déjoue la typologie du genre du portrait. Cette prise de liberté permet l’évocation de l’intériorité du sujet humain et non seulement de son aspect physique.

Le portrait de Michel fardoulis-Lagrange

Isabelle Waldberg s’affranchit du carcan de la ressemblance physique et choisit, pour le portrait de Michel Fardoulis-Lagrange de représenter seulement la tête et non le buste.


Libérée de sa forme traditionnelle, plus légère par l’absence de cou et des épaules, l'attention se concentre sur le visage. Coupée à l’aplomb du menton, la tête semble en lévitation, simplement perchée au bout d’une tige. La forme ovoïde du crâne, proche de Giacometti, de Chirico et de Brancusi, doit beaucoup à l’esthétique surréaliste du morceau issu du collage. Les traits du modèle semblent se fondre dans la masse ''en relief où le mythe du sujet se déforme, frôle l’incroyance'', selon les termes de Michel Faroulis-Lagrange. Les oreilles et l’arrière du crâne, ne sont plus que sculpture pure et l’attraction de la matière devient le moyen d’expression de la psychologie du modèle.

La Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet possède deux exemplaires différents du portrait de Michel Fardoulis-Lagrange par Isabelle Waldberg. Le premier, en plâtre peint est entré dans les collections en même temps que les manuscrits, correspondances, archives de presse et documents personnels par le don de Francine Fardoulis en 1996-1998. Le second est un tirage en bronze réalisé en 1999 par le fondeur Romain Barelier grâce au don d’Albert Kahn. Le bronze est réalisé à partir du plâtre de nos collections. Il a été tiré à 8 exemplaires numérotés de même dimension mais ayant chacun un socle de formes différentes. Le bronze est donc posthume et le plâtre ne semble pas avoir été exposé et ne figure dans aucun catalogue consacré à l’artiste.

La célèbre phrase de Marcel Duchamp (1967) à propos de la sculptrice : ''Isabelle sculpte, ausculte, s’occulte et exulte '' exprime l’attention extrême de l’artiste pour ses modèles et le processus de mise en retrait inhérent au travail de portrait sculpté pour atteindre une intense joie créatrice.

Du plâtre au bronze

L'odeur du plâtre

L’exemplaire en plâtre de la collection de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet est peint en une couleur très sombre, afin d’imiter la patine du bronze, matériaux dans lequel l’œuvre était destiné à être réalisée. Les raisons pour lesquelles le bronze n’a jamais été tiré du vivant de l’artiste ou du modèle restent obscures. L’emploi du plâtre teinté est indiqué dans la carrière de l’artiste lors de la seconde exposition à la Galerie Cadario à Milan en 1963 puis en 1968-1969 lorsqu’elle expose ses maquettes en liège et en plâtre souvent peints.


Le premier contact d’Isabelle Waldberg avec le plâtre se produit dans son enfance, alors qu’une maison est en construction en face de chez elle, en Suisse. ''Profondément bouleversée'' par ''une odeur de bâtiment neuf'' elle prend conscience de la possibilité de ''créer des formes nouvelles, de ses propres mains'' en voyant ''la maison se développer d’alvéole en alvéole, comme une sorte de sculpture monumentale, et l’odeur du plâtre reste intimement associée à cette première impression’’. Pour elle, le plâtre est sans doute le matériau le plus stimulant d’abord grâce au souvenir de son enfance dont l’odeur ne la quitte plus et ensuite car elle était souvent déçue par le rendu final des plâtres qu’elle voyait revenir en bronze de la fonderie : ''Pour elle la sculpture était un absolu : « Nous sommes les meilleurs, vous savez », disait-elle en parlant des sculpteurs. Mais elle était toujours déçue. Quand elle voyait, à la fonderie apparaître sa sculpture en bronze « ce n’est que ça » disait-elle avec un air dégoûté'' (R. Granet)


''Isabelle tirait sur le plâtre comme on fume une cigarette, jusqu’à tendre la fumée blanche, lui injecter une forte assise et en faire un nuage arrêté en plein sol ou plutôt descendu sur terre''  (J.F Briant)

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Crédits

Conception et textes : Candice Runderkamp

Droits des images: Bibliothèque littéraire Jacques Doucet